Chroniques

par nicolas munck

Beethoven | Symphonie en ré mineur Op.125 n°9 « An die Freude »
Ricarda Merbeth, Marina Prudenskaïa, Steve Davislim, Evgueni Nikitin

Orchestre national de Montpellier Languedoc-Roussillon, Christian Arming
Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon / Corum
- 25 juillet 2015
Christian Arming joue la Neuvième de Beethoven au Festival de Montpellier 2015
© samuel duplaix

Journée de clôture du Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon placée sous le signe de Beethoven, avec le second volet de l’intégrale des concerti pour piano sous les doigts de François-Frédéric Guy – Op.15 n°1 et Op.73 n°5, après les trois centraux donnés avant-hier [lire notre chronique du 23 juillet 2015] – et la monumentale Symphonie en ré mineur Op.125 n°9 qualifiée par Richard Wagner de « dernière des symphonies ». En contrepoint de cet écrasant chef-d’œuvre, et afin de le présenter sous un angle quelque peu inédit, le département de culture musicale du CNSMD de Lyon propose, en collaboration avec le festival, une matinale Rencontre de Berlioz menée par le musicologue Jean-Philippe Guye (professeur d’art et civilisation au dit conservatoire) sur les correspondances entre cette page et la frise de Klimt montrée à Vienne lors de la quatorzième exposition de la Sécession, en 1902 – une lecture picturale qui permet de revenir sur ses étonnantes spécificités compositionnelles : renouvellement profond de la forme tout en restant dans le cadre d’une symphonie à quatre mouvements, développements particuliers des éléments thématiques, richesse de l’écriture orchestrale, etc.

Œuvre de synthèse géniale à la genèse complexe, la Neuvième se présente comme un ouvrage hybride où le final constitue un véritable oratorio avec solistes, chœur et orchestre (sa durée dépasse celle de toute la Symphonie en fa majeur Op.93 n°8). N’ayant eu l’occasion d’entendre cette œuvre qu’une seule fois en salle, nous sommes ravis de cette programmation qui vient célébrer, dans cette ode à l’universalité et à la fraternité entre les peuples, les trente années d’existence d’un festival au succès incontestable et bien implanté dans le tissu local.

Le premier mouvement (Allegro ma non troppo, un poco maestoso) en ré mineur ne manque pas de donner quelques frayeurs. Si le tempo choisi est en parfaite adéquation avec le caractère de ce mouvement à 2/4, des décalages se créés rapidement entre les différents pupitres. L’introduction (tenues des cors en ré et clarinettes en si bémol, entretien en sextolets violons II et violoncelles mettant en résonance le motif relayé entre violons I, altos et contrebasses) est bien conduite avec son crescendo progressif avec la densification des entrées, mais le premier tutti (descentes arpégées sur deux octaves avec rythme pointé réalisé à tout l’orchestre avec la première entrée des timbales) marque déjà un alourdissement du tempo et des effets de décalages entre les pupitres. Ainsi, timbales, trompettes, cor en ré et si bémol, très éloignés du chef sur ce plateau surchargé, sont presque systématiquement au fond du temps, dénaturant l’aspect incisif du rythme doublement pointé. Par ailleurs surprend le choix des baguettes du timbalier (assez molles et sans beaucoup d’attaque) qui, avec l’effet d’éloignement, donne un son assez sombre, peu percussif et brillant. Face à ce mouvement, complexe analytiquement et difficile à rendre parfaitement audible, se fait sentir un orchestre un peu fébrile qui a du mal à entrer dans les couleurs requises.

Dans le deuxième (Molto vivace à 3/4), le tempo général, qui perd toutefois quelques points de métronome, est une fois encore parfaitement bien choisi pour mettre en relief son traitement contrapuntique. Suffisamment vif, et bien pensé à la mesure, il semble sécuriser l’orchestre sur le début. La première entrée solo des timbales (octave sur la médiante de ré mineur), avec sforzando sur la timbale aiguë, offre une couleur plus nette avec un choix de baguettes plus lourdes, mais qui font parfois « cuivrer » et légèrement saturer la timbale grave. Ici, plus que par quelques imprécisions rythmiques et toujours cet effet de léger décalage entre la section cordes, cuivres et petite harmonie, nous voilà spécifiquement gênés par la justesse (notamment des flûtes) et les attaques un peu basses des cors (particulièrement exposés dans le Trio). Néanmoins, cette section centrale, qui pose souvent de réels problèmes métronomiques, reste bien menée et l’ensemble du mouvement parvient à se tenir.

Développé sous la forme d’un thème et variations, le troisième (Adagio molto e cantabile, alternance 4/4 et 3/4 à noire égale soixante et soixante-trois) met à rude épreuve l’ensemble de la petite harmonie avec de nombreuses doublures clarinettes, bassons cors 1, 2, 3 et 4. La texture et l’articulation des cordes (notamment dans l’Andante moderato) fonctionne assez bien et les phrasés sont clairs, mais cet effet de densité ne fonctionne pas aussi bien dans les bois, les relais hautbois/clarinettes, hautbois/flûtes ne sont pas toujours bien tuilés. Sur le 12/8 (Lo stesso tempo), nous apprécions particulièrement la conduite des violons I et une belle sonorité de vents sur les formules d’accompagnement en notes tenues. Du Final, structuré en quatre parties principales, et même si la « fanfare de l’effroi », telle que l’appelait Wagner, produit son effet, retenons la couleur des basses (violoncelles et contrebasses) sur l’entrée du thème en ré majeur de l’Ode (Allegro assai).

Côté vocal, le baryton-basse Evgueni Nikitin se tire honorablement d’un récitatif bien accompagné par l’ensemble des cordes. La prestation de Steve Davislim (ténor) convainc infiniment plus, toutefois, notamment dans son air de bravoure (alla marcia). Sa voix souple, son sens du phrasé et la justesse de son registre aigu font merveille dans cette section, l’équilibre sur l’entrée du chœur restant bien réalisé. Si ses interventions fonctionnent plutôt bien, le quatuor de solistes est assez déséquilibré, notamment côté féminin. En effet, la voix de Ricarda Merbeth, richement soutenue, se fait très émergente et, dans un combat inégal, masque littéralement celle de Marina Prudenskaïa dont on perçoit à peine les lignes de contrechant. L’Orfeón Donostiarra se sort sans briller de ce final difficile et dans un registre particulièrement tendu.

Du Corum nous sortons donc assez frustrés, il faut bien le dire, après avoir entendu une version un peu décevante de ce chef-d’œuvre beethovenien. Il n’en demeure pas moins que l’expérience esthétique d’une Neuvième en live reste un moment précieux. Le public est visiblement conquis par une symphonie qui saisit, quelles que soient les circonstances. Une seule envie : se replonger dans les complexités d’une partition qu’on croit connaître et qui pourtant parvient toujours à surprendre en aiguisant la curiosité. La salle réserve une standing ovation aux protagonistes du soir.

NM