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Chroniques
Benjamin, Bridge, Britten, Vaughan Williams
En écho aux représentations de Billy Budd [lire notre Dossier du mois et notre chronique du 24 avril], les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris proposent un Salon musical en forme de promenade anglaise dont le mérite n’est pas uniquement d’offrir un programme rare des plus ingénieusement choisis, mais aussi des exécutions d’une fine sensibilité.
À l’honneur, le maître de Britten, Frank Bridge, avec deux fort belles pages. Tout d’abord Lament pour deux altos, conçu en 1915, créant l’illusion d’une démultiplication de l’instrument, comme le fera bien plus tard, mais dans un tout autre esprit, George Benjamin dans son Viola Viola. Étienne Tavitian et Jean-Charles Manciero imposent une interprétation d’une présence inouïe, saisissant l’écoute dans l’émotion, de cette page intense et brève imaginée par un compositeur instrumentiste – lui-même délaissait son violon depuis une dizaine d’années au profil de l’alto qui n’avait alors pas encore gagné ses lettres de noblesses auprès des créateurs comme des mélomanes.
Dans un grand soin de l’équilibre, les musiciens, auxquels se sont joints les violonistes Éric Lacroute et Cyril Ghestem et les violoncellistes Mathieu Rogué et Philippe Féret, se lancent dans l’Allegro moderato du Sextuor en mi bémol majeur, écrit entre 1906 et 1912. De nature moins méditative, cet opus est tout entier porté par un chant volontiers généreux qui, vraisemblablement, n’est pas sans se souvenir de la musique de chambre slave, en particulier de Tchaïkovski et de Dvořák. À cette influence s’ajoutent des réminiscences viennoises dans l’Andante central, à chercher du côté de Korngold et de Zemlinsky plutôt que de l’absolue modernité que l’on rencontrerait dix ans plus tard dans le Quatuor n°3. On goûte un lyrisme copieusement servi, jusqu’au Finale (Allegro ben moderato) à l’invention mélodique un brin désuète, à la limite du sirupeux parfois.
Si la facture de Bridge s’avère relativement « continentale », comme purent la qualifier quelques commentateurs en son temps, l’inspiration de son stricte contemporain Ralph Vaughan Williams s’affirme paradoxalement ancrée plus nettement dans les racines britanniques. Paradoxalement, car Vaughan Williams approfondit son apprentissage de la composition en Europe, lui (après l’étude auprès de Stanford, maître redoutable pratiqué par les deux jeunes musiciens). Ainsi semble justifiée l’idée reçue selon laquelle l’exploration d’autres territoires pourrait bien renforcer l’attachement au sien propre.
Se passionnant de plus en plus pour le folklore musical de son pays, Vaughan Williams laisse surgir une coloration populaire et ancienne aux chants qui traversent son Phantasy Quintet de 1912 (deux violons, deux altos, violoncelle), coloration dont il use avec une sage parcimonie. L’inflexion élégiaque de la mélopée d’alto du Prélude donne naissance à un jeu de répons contrepointés qui n’est pas sans rappeler le vieux Bach. Survient une danse tonique, obstinée, en Scherzo, ici donnée avec un grand sens de la nuance. Après une tendre Alla sarabanda, l’œuvre est conclue par une Burlesca en pavane.
En 1937, Benjamin Britten signe un bel hommage à son professeur pour lequel toujours il affirma un bel attachement, à travers ses Variations sur un thème de Frank Bridge Op.10. Cinq ans plus tôt, il livrait son opus 2, le Quatuor Fantaisie pour hautbois et cordes, où s’entend largement l’influence du maître, rencontré dès 1928 (Britten a quinze ans), et dont on peut affirmer qu’il fut pour lui une sorte de père en musique, à la faveur d’une relation affective entretenue avec bienveillance par Mme Bridge elle-même. À l’hautbois, Philippe Giorgi trouve sa place dans le quatuor auquel il donne un relief particulier sans revendiquer jamais trop le devant de la scène.
BB