Chroniques

par laurent bergnach

Benvenuto Cellini
opéra d’Hector Berlioz

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 20 mars 2018
Philippe Jordan joue Benvenuto Cellini (1838), premier opéra de Berlioz
© agathe poupeney

Avec sa Vita di Benvenuto Cellini commencée en 1558, le fameux orfèvre et sculpteur florentin (1500-1571) signe ce qui demeure la toute première autobiographie d’un artiste. Publié en 1728, ce récit rocambolesque forge la légende d’un homme capricieux, colérique et violent, et par là même libre de s’affranchir des règles communes (altercations, vagabondage, assassinat). Papes italiens et roi français protègent comme ils peuvent un génie qui échappe à l’idéal moral de l’artisan devenu créateur – à l’instar de Michelangelo, « le regard immuablement fixé vers un monde supérieur », décrit par Gounod dans ses souvenirs romains –, mais sans parvenir à dompter cet « incorrigible garnement ». Grâce à la traduction de 1822, écrivains et musiciens romantiques découvrent la figure rebelle d’une Renaissance équivoque et s’en inspirent. En fait partie Hector Berlioz (1803-1869), ouvrant la voie à ses cadets Saint-Saëns et Díaz de la Peña (Ascanio et Benvenuto, 1890), pour son malheur…

Trois décennies après la naissance du XIXe siècle, le Grand opéra règne à la Grande boutique. Très critique envers des ouvrages comme La Juive (1835) [lire nos critiques du 6 février 2017 et du 30 mars 2016], Berlioz pense pouvoir contourner les conventions d’un genre glorifiant le faste théâtral au détriment du drame musical. Avec un projet d’abord destiné à l’Opéra Comique, salle plus disposée aux contrastes stylistiques, et grâce aux librettistes Léon de Wailly, Auguste Barbier et Alfred de Vigny – ce grand lecteur d’Hoffmann à la participation anonyme autant qu’active –, le trentenaire offre à sa ville d’adoption un ouvrage mal accueilli, avant même la première représentation du 10 septembre 1838, Salle Le Peletier. À lire les mémoires posthumes du musicien (1870), on apprend les réticences du directeur Duponchel envers « une espèce de fou dont la musique n’était et ne pouvait être qu’un tissu d’extravagances », la nonchalance dégoûtée des chanteurs, la mauvaise humeur du chef Habeneck… sans parler des rumeurs galopantes. L’échec de l’ouvrage a durablement marqué son lieu de naissance puisque se compte seulement vingt-cinq représentations en amont de ce Cellini itinérant, production de l’English National Opera signée Terry Gilliam (2014), déjà commanditaire d’une Damnation de Faust par l’institution (2011) [lire notre chronique du 4 juin 2017].

« Pour moi, la réalité est indissociable de l’imaginaire… » confie celui dont Time bandits (1981) annonçait une ferveur à faire s’affronter Histoire et mythologie (Bonaparte, Agamemnon), matérialisme et humanisme. A priori, un démiurge anticonformiste ne jure pas dans l’univers du cinéaste si l’on évoque Archibald Tuttle, plombier dissident d’un monde totalitaire (Brazil, 1985), Jeffrey Goines, militant de la cause animale (12 monkeys, 1995) ou Jacob Grimm, immortel d’avoir éduqué plutôt que dépouillé les plus faibles (The Brothers Grimm, 2005) ; reste à savoir comment il s’incarne, et dans quel écrin. Après que leurs perspectives tourmentées aient inspiré Eco (Il nome della rosa) ou Ferneyhough (Carceri d’Invenzione), les prisons imaginaires du graveur Piranesi (1720-1778) viennent malheureusement peser ici de leurs murs hachurés en carton-pâte – erreur légitime d’un habitué du réalisme cinématographique. Gilliam s’en sort mieux avec les êtres qui les arpentent, contemporains de Berlioz sagement amoureux ou pris par la folie d’un carnaval pluriculturel et circassien (costumes de Katrina Lindsay). On doit à son burlesque indécrottable de maintenir l’attention : servantes travesties à plumeau vengeur, satyre obscène et cacopyge ou pape sortant de sa chape comme un diable en boîte !

Les voix réunies ravissent diversement.
D’abord peu projeté et directionnel, le ténor de John Osborn (rôle-titre) gagne vite en ampleur, faisant goûter un timbre d’une lumière vibrante. Chez ses confrères de même tessiture, Vincent Delhoume (Francesco) – ancien élève de l’Atelier Lyrique [lire nos chroniques du 26 juin 2010 et 27 juin 2009] –, Se-Jin Hwang (Cabaretier) et Rodolphe Briand (Pompeo), on apprécie la clarté et l’articulation soignée de ce dernier. Les basses sont légion, elles aussi : Maurizio Muraro (Balducci), Marco Spotti (Clément VII) et Luc Bertin-Hugault (Bernardino) – souvent éteinte, en ce qui concerne la première. Dans le même esprit, seul baryton en scène, Audun Iversen (Fieramosca) offre trop souvent une pâte assez terne. Côté chanteuses, nous apprécions le soprano large, souple et fruité de Pretty Yende (Teresa), de même que Michèle Losier (Ascanio), mezzo stable aux graves solides et à l’aigu puissant – futur Ascagne des Troyens, ici même, en janvier prochain. Le chœur de la maison est vaillant, bien plus que son orchestre aux couleurs souvent mates, conduit par Philippe Jordan qu’on a connu moins timide à l’enflammer.

LB