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Chroniques
Berenice | Bérénice
opéra de Georg Friedrich Händel (version de concert)
Merveilles du vaste cycle händélien offert avenue Montaigne depuis de longues années, nous y entendions un Ezio de référence, il y a quelques jours, y goûtons ce soir Berenice, regina d’Egitto, autre rareté, tandis que l’oratorio Athalia nous attend dans une petite quinzaine. C’est la grande vertu de cette programmation que d’avoir su, au fil du temps, tout aussi bien mener son public dans les pages les plus connues du Saxon en l’accompagnant dans ce que son œuvre compte de trésors plus ou moins oubliés – et ils sont pléthore ! Ainsi ses opéras vedettes furent tous donnés ici, de même qu’on y entend chaque saison Messiah (HWV 56), véritable tube, aux côtés d’opus précieusement revisités.
Écrit durant l’hiver 1736/37 en trois semaines à peine par un compositeur alors entravé du côté droit par les suites d’une attaque, Berenice puise librement dans un livret presque trentenaire d’Antonio Salvi mis pour la première fois en musique (1709, Pratolino) par Giacomo Antonio Perti. Créée à Covent Garden au printemps 1737, l’œuvre ne compte alors que quatre représentations qu’aucun succès ne vient saluer. Si elle est reprise six ans plus tard à Brunswick, il lui faut attendre avril 1985 pour que des jeunes gens de la Keele University lui offre une nouvelle chance. Depuis, leur emboîtèrent le pas ceux de Cambridge (1993). Enfin, le metteur en scène Ulrich Peters en signait une production digne de ce nom en 2001, à Karlsruhe, que dirigeait Andreas Spering. Aujourd’hui, Alan Curtis et son Complesso Barocco donnent à cet opéra accès à la scène parisienne (en version de concert).
Certes, le mérite en est grand. Et pourtant…
L’on sait bien l’indicible optimisme de la musique de Händel, l’imparable vitalité qui la traverse. Non pas que la gravité jamais ne l’atteigne ; bien au contraire : elle est comme une halte où les forces, loin de s’arrêter, se reconcentrent, et où, si le tragique s’installe profondément, une distance d’une puissante dignité prend le dessus, plaçant bientôt l’émotion dans une dimension spirituelle salutaire : cette même inépuisable lumière portée par un optimisme, redisons-le, lucidement cultivé, précisément. Doit-on entrevoir dans le peu de santé de l’exécution de ce soir une méditation du nouvel handicap dont l’auteur souffrait à ce moment-là ? Tout donne plutôt à croire qu’une certaine mollesse de ton demeure imputable au style même du chef américain, une sorte d’anémie que l’on constate régulièrement dans ses interprétations. L’abord, si propre et de bonne foi qu’il soit, paraît manquer d’ambition.
Du côté des voix frappe l’inégalité de la distribution choisie.
Toujours aussi impressionnant de puissance et d’impact, Vito Priante sert le rôle d’Aristobolo d’une basse avantageusement colorée mais malencontreusement imprécise et peu nuancée. Mary Ellen Nesi donne un Arsace au chant pâlot, voire scolaire, souvent couvert. D’un timbre chaleureux à souhait, bénéficiant d’une richesse expressive qui n’a d’égale que l’évidente présence dramatique, le mezzo Romina Basso offre l’appréciable étendue de sa voix, étonnamment registrée, à Selene, ornant agilement sans empeser l’intelligence et le charisme du chant. Comme inépuisable, la remarquable élasticité de l’instrument livre un Tortorella che rimira (Acte III) simplement superbe, au-delà de l’exercice virtuose qu’il occasionne. En Demetrio, le jeune contreténor argentin Franco Fagioli parvient à une vocalité efficace, malgré les déformations antagonistes qu’il fait subir à son visage ; l’on hésite quant à conclure si elles proviennent d’un effort considérable, ce qui induit qu’elles magnifient une voix peut-être confidentielle et malaisée, ou si, au contraire, elles suraccentuent l’émission, ce qui donnerait à penser qu’en se débarrassant de ces grimaces l’artiste libèrerait d’autant mieux un instrument encore insoupçonné. Laissons ces conjectures aux maîtres de chant…
Clair comme aux premiers temps de sa carrière, le ténor Cyril Auvity nuance exquisément son Fabio, ménageant en une tendresse rare certaines variations d’aria. Dans le rôle d’Alessandro, la Suédoise Ingela Bohlin, dont on apprécie la fraîcheur de timbre, accuse un souffle un peu court et une projection souvent insuffisante. Enfin, le rôle-titre est ici tenu par Klara Ek qui, indéniablement, en possède l’autorité. On apprécie la souplesse de la phonation, l’agilité libérée au deuxième acte, l’ampleur plus franche dans le dernier, bien qu’un peu froid semble son chant.
BB