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Chroniques
Berlin, die Sinfonie der Großstadt
film de Walther Ruttmann – musique d’Edmund Meisel
Œuvrant pour l’avant-garde, la publicité ou la propagande – il assiste Riefenstahl pour Olympia (Les dieux du stade, 1938) –, Walter Ruttmann (1887-1941) vient au septième art après des études d’architecture et de peinture. Il survit à une Première Guerre mondiale passée sur le front de l’Est, puis se fait connaître comme pionnier du cinéma abstrait au début des années vingt – les célèbres Opus I à IV, présentés entre 1921 et 1925. Au même moment, son confrère Karl Freund (1890-1969) développe les recherches de Murnau sur la caméra déchaînée (« entfesselte Kamera »), un moyen qui permet des prises de vue novatrices. Avec l’aide de Carl Mayer, scénariste du Cabinet des Dr. Caligari (Le cabinet du docteur Caligari, 1920) qui prépare Sunrise (L’aurore, 1927) [lire notre chronique du 11 juin 2014], ils s’attachent à peindre la capitale allemande en plein essor, ville « qui n’étouffe pas déjà derrière ses façades, écrasée par sa propre monumentalité ». Ainsi naît Berlin, die Sinfonie der Großstadt (Berlin, symphonie d'une grande ville, 1927).
Le cinéaste délaisse donc le court métrage géométrique pour créer « un film symphonique avec les milliers d’énergies qui composent la vie d’une grande ville ». D’un projet qui va lui assurer une reconnaissance mondiale, Ruttmann ne cache rien des épreuves et fatigues, durant de longues semaines, à échafauder ce qu’il juge un mécanisme complexe plutôt qu’un livre d’images (réunion dès quatre heures du matin, soucis d’éclairage nocturne, etc.). « Après chaque tentative de montage, précise-t-il, ce qui manquait encore m’apparaissait clairement : un léger crescendo visuel ici, un andantelà, un bruit léger ou une flûte ».
Pour accompagner cette journée de printemps berlinois, de l’aube au crépuscule, on fait appel à Edmund Meisel (1894-1930), fervent défenseur d’une musique pour les masses, passé de la scène de Piscator au cinéma d’Eisenstein – Le cuirassé Potemkine (1925) et aussi Octobre (1928) d’avant la sonorisation [lire notre chronique du 7 octobre 2010]. Un orchestre de soixante-quinze exécutants intervient lors de la première, tandis que les récents arrangements de Mark-Andreas Schlingensiepen (né en 1956) permettent de réunir seulement une quinzaine d’artistes de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Comme le 2 octobre prochain au festival Musica, Frank Strobel leur fait face, toujours soucieux d’équilibre et de nuance, qu’il s’agisse d’accompagner des images signées Disney ou Abel Gance [lire nos chroniques du 8 novembre et du 1er mars 2014].
En harmonie extrême avec l’image, Meisel illustre l’allégresse et la trépidation d’une population urbaine qui marche, roule et vole, travaille auprès de machines à écrire, laminer, embouteiller, etc., et se divertit au stade ou au cabaret. La nostalgie tient en haleine le spectateur – ce Berlin-là, vingt ans plus tard, n’existerait plus –, lequel finit pourtant par se lasser d’une partition peu nuancée. À cet égard, la première partie du film nous est la plus chère, poème de rues désertes au matin, animées de brume, de fumées d’usine et de chats errants.
LB