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Chroniques
Berliner Philharmoniker
Barbara Hannigan, Mitsuko Uchida et Simon Rattle
L'Orchestre philharmonique de Berlin n'a pas besoin de circonstances « officielles » pour créer l'événement. L'amitié Franco-Allemande ne change rien à l'affaire, la venue de cet ensemble est un événement en soi, même si l'annonce du prochain départ de Simon Rattle ajoute à l'intérêt de venir l'entendre une dernière fois à la tête de l'ensemble en tant que directeur musical. La conséquence directe est évidemment une attente (forcément) disproportionnée – si, du moins, le terme de proportion garde un sens concernant les Berliner.
Pour mettre tout le monde d'accord, c'est le choix très consensuel du Concerto pour piano en ut mineur Op.37 n°3 de Beethoven qui ouvre les hostilités. Au clavier, Mitsuko Uchida officie tant du corps que des doigts. Le jeu perlé est d'une exquise légèreté, une quasi-vocalité qu'on placerait sans hésitation entre moïto et sons filés pour en donner une idée précise. Les fins de cadences sont les moments-clés de la soirée. Cette interprétation séduit par la retenue du tempo et l'appropriation féminine de l'harmonie (pas efféminée pour un sou, mais alternant une sorte de sensualité et d'autorité du désir sonore). L'Allegro con brio initial n'a certes pas la sombre minéralité de tous ces célèbres solistes qui hantent les rayons de nos souvenirs, mais, après tout, qu'importe ? Le mouvement lent est le cœur géographique et expressif du concerto. Mitsuko Uchida réussit à maintenir le phrasé funambulesque dans une nuance délicate, sans que la ligne se brise. Le final est explicitement mozartien. L'orchestre et le chef impressionnent par leur capacité à se faire oublier, laissant au piano l'impression d'un contrôle absolu des opérations.
Seule musique française de la soirée, les Correspondances d'Henri Dutilleux retrouvent l'orchestre et le chef qui les a créées en 2003 [sur la création française, lire notre chronique du 16 septembre 2004]. La soliste canadienne Barbara Hannigan [photo] remplace avantageusement Dawn Upshaw, mais l'œuvre sonne toujours aussi étrangement désuète dans son cocon de couleurs et ses excès debussystes. La tonalité attendrie dissout le sens littéral de ces extraits de lettres dont le choix semble guidé par la présence d'allusions à la spiritualité, de sources diverses (poésie ou correspondances privées de Baudelaire, Rainer Maria Rilke, Vincent van Gogh et Alexandre Soljenitsyne).
On aurait souhaité une acception thématique plus proche encore de la synesthésie que décrit Baudelaire dans son poème éponyme. La matière « accidentelle » du choix de lettres ainsi que le potentiel lyrique et vocal ne se plient pas toujours facilement aux raffinements de l'écriture musicale, sauf sans doute pour l'emblématique Danse cosmique du poète indien Prithwindra Mukherjee, malgré la présence, toujours problématique, de l'accordéon.
En conclusion, invitation à repasser le Rhin pour entendre la Symphonie en mi bémol majeur Op.97 n°3 de Schumann. Le professionnalisme et la perfection de l'interprétation ne laisse aucune place au doute : cet orchestre est l'un des meilleurs au monde et les musiciens connaissent par cœur la partition. Difficile de discerner derrière cette impeccable mécanique la complexité psychologique des arrière-plans. La battue convoque les pupitres plus qu'elle ne les sollicite, ce qui donne le sentiment d'une suite de contrastes permanents où les angles et les idées se multiplient sans qu'on y gagne en définitive une impression de cohérence expressive. C'est assurément spectaculaire, surtout dans la spirale Feierlich du final qui emporte la palme de l'engagement par l'explosion de cuivre qui s'y produit. Ce Schumann-là fourmille d'intentions, mais leur superposition reste fort éloignée de ce que l'on aimerait y entendre.
DV