Chroniques

par nicolas munck

Berlioz, Debussy, Markeas, Pesson et Reibel
charmes et armes de la nouvelle saison de TM+

Maison de la musique, Nanterre
- 22 septembre 2012
le pianiste Jean-Luc Ayroles se produit avec l'ensemble TM+ à Nanterre
© dr

En cette fin d’après-midi de grisaille opaque et décidément bien maussade (les plus optimistes parleront d’un temps plus que propice aux rentrées universitaire et musicale), le chef d’orchestre et compositeur Laurent Cuniot (directeur musical de TM+), trois de ses musiciens (Sylvia Vadimova, Carjez Gerretsen, invité pour l’occasion, et Jean-Luc Ayroles) ainsi que les compositeurs Guy Reibel et Alexandros Markeas convient le public de l’auditorium Rameau de la Maison de la musique de Nanterre à la découverte de la nouvelle saison publique de l’ensemble – découverte entrecoupée de respirations musicales contrastées et « en live » – par le biais d’un moment convivial et décomplexé (on est bien loin du cérémonial quasi-rituel du temps de concert).

En guise de mise en oreille apéritive, et afin de contourner l’épineux et sempiternel problème des longs discours introductifs souvent neutres, plats et vides de sens, le pianiste Jean-Luc Ayroles [photo] s’embarque, à brûle-pourpoint, dans une pertinente et percussive version des Jardins sous la pluie (troisième volet des Estampes) de Claude Debussy. Loin des clichés de climats vaporeux, évanescents et pseudo-impressionnistes, le jeu pianistique de la version du jour séduit par son brillant, son articulation, la clarté et la précision des attaques (sans dureté) et la régularité, la stabilité, presque un peu métronomique, du débit et du discours rythmique (crucial dans cet opus). En complément de sa fonction de plaisant prélude introductif, l’abord du répertoire debussyste est surtout l’occasion pour le directeur musical de TM+ (transformé, pour l’occasion, en médiateur culturel, maître de cérémonie et ès pédagogie) d’aborder, tout à la fois, le cas d’un compositeur phare de la saison et une problématique « dominante » chère à l’ensemble : l’idée d’un rapport nécessaire à l’extra-musical, à l’image, à l’impression poétique (« la musique doit se nourrir d’autre chose que d’elle-même » déclare souvent le compositeur Édith Canat de Chizy), mais aussi à l’histoire, proche ou lointaine. Il sera donc question, dans un certain nombre de programmes, soit d’éclairer, par un phénomène d’interférence, des pièces nouvelles par de plus anciennes et vice versa (Cf. Brochure Symphonie ville, Concert E libera voli autour de Debussy, Cuniot, Berlioz et Pesson d’après Berlioz), soit de montrer des interactions réelles et concrètes avec d’autres formes d’expression artistique (Cf. Brochure Symphonie ville, Projet chorégraphique Revolve sur le Vortex temporum de Gérard Grisey).

Cette thématique génératrice est successivement illustrée par une source filmique (entrevue et extraits de l’action chorégraphique orchestrée par Emmanuelle Vo-Dinh), puis par une nouvelle ponctuation musicale mettant en scène deux mouvements des Nuits d’été Op.7 de Berlioz (Villanelle et Le spectre de la rose). Suivent dans une quasi immédiateté deux courtes pièces pour piano solo de Gérard Pesson, compositeur largement représenté dans cette nouvelle programmation de TM+. Bien qu’honorablement défendues vocalement – prosodie et articulation parfaite, très belles couleurs dans les registrations graves, avec mention spéciale pour la coda, presque fantomatique et spectrale, du second mouvement –, ces deux mélodies berlioziennes captent l’attention par un très beau travail chambriste, que le piano/voix transcende, et par une qualité d’accompagnement (orfèvrerie chirurgicale) qui nous font presque oublier (remarquable gageure) les incomparables subtilités de la version orchestrale (une fois estompée la frustration du célébrissime contre-chant de basson du premier mouvement).

Sans rapport direct de matériaux et de techniques composititionnelles, l’idée étant plutôt de faire découvrir et redécouvrir les univers respectifs des deux compositeurs, la seconde pièce de Gérard Pesson, sur le modèle de pièces pour enfants, entre toutefois en résonnance parfaite avec les problématiques engagées par une mise en perspective historique. Dans un subtil alliage de tonalités opposées le compositeur parvient en effet à réunir, dans une même miniature teintée d’humour, des éléments motiviques tirés des quatrième et quinzième préludes de Chopin. Avec un parfait souci de didactique (l’objectif étant de mettre en lumière certains procédés d’écriture), Jean-Luc Ayroles donne à entendre, dans un second temps, quelques bribes de mesures des préludes initiaux. Comme le lecteur le pressent sûrement, l’évocation du Prélude n°4 déclenche un jubilatoire frisson dans l’assemblée. Un « encore ! », sous forme de cri du cœur, se fait entendre depuis les premiers rangs… auquel Laurent Cuniot répond avec un franc sourire « Ah non…Ici, on est dans le XXIe siècle ». Ton et ambiance de la saison sont donnés.

Après une large place donnée au répertoire « acoustique pur », les derniers temps de ce concert-rencontre s’orientent vers les répertoires acousmatiques (pièces électroacoustiques et mixtes). Ombres de Guy Reibel (extrait de la Suite d’Edgar Poe), pour bande magnétique, ouvre ce dernier acte. Cette pièce culte pour la génération de Laurent Cuniot explore, pendant près d’une quinzaine de minutes, différentes textures polyphoniques et continuums dynamiques qui accompagnent et contrepointent une déclamation de Laurent Terzieff, qui prend une tournure de vibrant hommage. Enfin, les Trois clins d’œil rythmés pour clarinette et dispositif électronique d’Alexandros Markeas (compositeur « de cœur » de l’ensemble) révèlent, dans un réjouissant « swing mécanique » (dixit le compositeur), un travail à mi-chemin entre l’intimité du son et une foudroyante virtuosité rythmique soulignée par le raffinement de la partition électronique. Signalons au passage la performance, quasi sportive, du clarinettiste Carjez Gerretsen qui défend, avec sûreté, vélocité et conviction cette partition lyrique et explosive, truffée de mode de jeu (tongs rams, slaps, multiphoniques, etc.) dans tous les registres.

Cette présentation, qui se prolonge presque amicalement entre musiciens et public autour d’un petit verre et de quelques joyeusetés gustatives, laisse entrevoir de futurs beaux moments musicaux.

NM