Chroniques

par katy oberlé

Berlioz ouvre la saison de l’Orchestre national de France
Marie-Nicole Lemieux et Emmanuel Krivine

Auditorium / Maison de Radio France, Paris
- 18 septembre 2019
"Les nuits d'été" de Berlioz par Marie-Nicole Lemieux à la Maison de la radio
© denis rouvre

C’est la rentrée, ça y est ! En son bel auditorium la maison ronde accueille le mélomane pour les premiers concerts de la saison 2019/2020 et de ses deux formations orchestrales. Si le programme de l’année fait belle part à Beethoven dont 2020 célèbrera le deux cent cinquantième anniversaire de la naissance – comme le font tous les programmes de tous les orchestres de toutes les régions françaises… sans oublier nos chers solistes, toujours heureux de remâcher jusqu’à la nausée leur bon vieux Ludwig ! –, 2019 continue de fêter le cent cinquantenaire de la disparition d’Hector Berlioz. Emmanuel Krivine consacre donc la première soirée de son Orchestre national de France au Français dont on put dire, il n’y a pas si longtemps, qu’il fallait se déplacer outre-Rhin et outre-Manche afin d’entendre la musique, ce qui reste assez vrai en ce qui concerne Les Troyens, son fameux opéra-fleuve – La Côte-Saint-André, en pays natal, possède bien un festival qui lui est dédié, mais l’inscrit dans une obscurité notoire en refusant d’y accueillir de nombreuses plumes parmi lesquelles comptent celles de notre équipe : sans doute faut-il y voir ce que d’aucuns appellent l’exception française.

Ne grinchons pas : Le carnaval romain Op.9 fut bien créé à Paris, rue de la Victoire, dans la salle des frères Hertz, le 3 février 1844. La vigueur insufflée par Krivine dans l’attaque rivalise de charme avec la cantilène lyrique du cor anglais qui emprunte, comme toute la pièce, à l’opéra Benvenuto Cellini qui n’avait connu que trois malheureuses représentations, à l’opéra Le Pelletier, six ans plus tôt. Les musiciens de l’ONF sont tout à leur affaire dans ce petit bijou d’art berliozien qu’ils servent avec une conviction communicative. On admire la maestria de cuivres en bonne santé comme la tonicité des cordes, dans cette version qui gère parfaitement le fascinant équilibre instrumental tout en rendant clairement compte de l’audace du compositeur.

Pour dire Théophile Gautier, Radio France fait appel à Marie-Nicole Lemieux qui connaît bien son Berlioz. Les six poèmes extraits de La comédie de la mort paru en 1838 donnaient lieu dès 1841 aux Nuits d’été pour mezzo-soprano ou ténor et piano, avant qu’entre 1843 et 1856 le compositeur les orchestrât. Dans l’idéal, il souhaitait qu’on les distribue à plusieurs solistes vocaux, mais la coutume en a décidé autrement. Dans un frémissement délicat, les cordes accompagnent Villanelle où nous retrouvons le contralto québécois dont la ligne est savamment contrepointée par une basson coloré. La tendresse de l’orchestre est à son comble pour Le spectre de la rose où le phrasé de Lemieux fait merveille, à défaut d’une diction un peu perdue, ce qui n’est pourtant pas son habitude. On est désagréablement surpris d’entendre une aigreur nouvelle du timbre dans « Et j'arrive du paradis », puis un vibrato qui prend le devant de la scène dans la troisième strophe. L’inflexion de Sur les lagunes revêt bien le lugubre attendu, mélancolie distillée par les cordes comme une vague triste où la voix pousse sa plainte. Pour ce mélodrame miniature, Marie-Nicole Lemieux convoque son sens du théâtre et fait frissonner les rangs avec la conclusion cyclique « Ah ! sans amour, s'en aller sur la mer ! ». Mais cela ne masque pas quelques soucis de stabilité vocale. La chanteuse reprend ses moyens en main avec Absence, en bonne complicité avec Emmanuel Krivine qui distribue judicieusement silences et points d’orgue. Par contre,Au cimetière montre de curieux chemins, avec des notes prises par le dessous. On finit par envisager que l’artiste est en petite forme, ce soir. L'Île inconnue jouit malgré tout d’une approche enlevée et très musicale.

En seconde partie est donnée la Symphonie fantastique Op.14, œuvre révolutionnaire lorsqu’elle apparaît en 1830. La lecture de Rêveries pose avec soin les éléments de cette musique à programme, dont on peut pleinement apprécier ici chaque trait des différents pupitres sollicités. La montée en puissance de l’introduction du Bal aboutit à une danse que Krivine rend moelleuse à souhait. Les pâtres de la Scène aux champs sont l’occasion d’apprécier les excellents bois de l’Orchestre national de France. La précision est au rendez-vous de chaque passage, y compris pour la nuance, rigoureusement mesurée. Mais le geste général manque soudain de tenue, comme désinvesti du propos. Marche au supplice apporte un regain d’intérêt à l’interprétation, même si le tempo paraît lourd, arrosant le flamboyant des cordes. Avant le final du mouvement, les pizzicati sont décalés, ce qui s’avère gênant. Trop pesante, l’entrée de Songe d’une nuit de sabbat devient soporifique. Le déploiement du Dies iræ superposé à la grande fugue ne convainc pas plus, trop souvent indifférencié. Bref, cette fantastique m’a laissée sur ma faim – dommage.

KO