Recherche
Chroniques
Berlioz | Roméo et Juliette, symphonie dramatique Op.17
Orchestre national du Capitole de Toulouse, Tugan Sokhiev
Ouvrage au format hybride autant qu'à l'inspiration puissante et foisonnante, héritière de Beethoven entre autres par l'introduction de la voix dans ce qui se présente comme une « symphonie dramatique », Roméo et Juliette de Berlioz constitue une indéniable gageure. Les commémorations du tétracentenaire Shakespeare – on sait combien le dramaturge anglais a compté parmi les figures tutélaires du compositeur français – ont sans doute encouragé à la relever l'Orchestre national du Capitole de Toulouse et son directeur musical, Tugan Sokhiev, participant ainsi aux rémanentes marges de progression dans la reconnaissance du grand Hector par sa patrie.
L'urgence des premiers accents, et leur bouillonnement abrupt, ne ménage aucunement la phalange ainsi prise à froid – difficulté que le confort discographique efface trop souvent à nos oreilles. La mise en place s'avère ainsi presque prudente. Si l'approche évite l'emphase pompière, le rythme pourrait se faire plus acéré. La conception de la sonorité globale qui affleure ici privilégie les richesses de la pâte orchestrale, ce que la virtuosité de l'harmonie confirmera. L'entrée du chœur ne démentira aucunement cet équilibre, la couleur des masses émoussant sans doute l'articulation, et renvoie alors l'Orfeón Donostiarra, préparé par José Antonio Sainz Alfaro, à un relatif exotisme.
L'expressivité des pupitres, des bois particulièrement, ne tarde pas à s'épanouir avec les couplets du mezzo-soprano, assumés sans artifice et sans filet par Julie Boulianne, tandis que Loïc Félix n'épargne pas l'éclat des interventions du ténor, fût-il un peu cru. Le vaste duo d'amour – purement instrumental, là réside son génie novateur – cède plus à l'extatique qu'à la fièvre. L'onirisme nocturne de la page ne manque pas ; pour autant, sa restitution s'attache essentiellement à ne pas dilapider les ressources des musiciens – gage, admettons-le, d'une appréciable constance de la qualité plastique.
On n'en oublie pas un sens de la forme et de la construction, qui éclot progressivement : le chef ossète distille d'évidentes vertus d'endurance que le finale livrera sans avoir besoin d'inutiles excès. La vigueur du geste et de la paradoxale continuité narrative suffit – si l'on songe à une composition défiant les usages descriptifs. Le Scherzo de la Reine Mab affirme la ductilité attendue. L'accoutumance et l'échauffement installent enfin les effectifs choraux dans une sorte de zone de confort textuel, quand Patrick Bolleire incarne un frère Laurent homogène, plus précis que chantant parfois, qui ne cherche pas à habiter les graves au delà de ce que son timbre lui autorise. Le remarquable niveau du Capitole en cette soirée n'échappe pas au public, à défaut de laisser une empreinte inédite dans l'interprétation berliozienne.
GC