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Chroniques
Bernard Foccroulle et Francesco Filidei
Clavierübung III, Das musikalisches Opfer, etc.
La passionnante exploration de l’œuvre de Johann Sebastian Bach par cette édition 2015 du Printemps des arts de Monte-Carlo se poursuit avec deux soirées consacrées à sa musique d’orgue et deux cantates, Geist und Seele wird verwirret BWV35 et Vergnügte Ruh, beliebte Seelenlust BWV170. La grande dispersion acoustique qu’occasionnent les proportions de la Cathédrale Notre-Dame-Immaculée ne laissera guère goûter les qualités de l’interprétation de ces deux opus par le contre-ténor Damien Guillon à la tête de son Banquet Céleste. L’oreille ne parvient pas à se défaire d’une aura envahissante qui dévore toute définition instrumentale, si bien qu’on centrera cette chronique sur les seuls programmes organistiques.
De 2009 à 2011 fut confiée à Dominique Thomas la construction du nouvel orgue de la cathédrale monégasque, reprenant en partie la base de l’instrument signé en 1976 par Jean-Loup Boisseau. On découvre l’élégante silhouette de bois clair et de polyméthacrylate de méthyle édifiée par l’organier belge. Sur ses soixante-dix-sept jeux (pédalier et quatre claviers), Bernard Foccroulle donne vendredi la Clavierübung III dans son parcours le plus festif, en douze parties. Après les Partiten de 1730 (I), les Concerto nach Italiaenischen Gusto et Overture nach Französischer Art de 1735 (II), Bach écrivit ce troisième recueil à Leipzig, en 1739, achevant sa pratique du clavier deux ans plus tard avec Die Goldberg-Variationen. L’œuvre suit pas à pas l’ordinaire d’une messe luthérienne, d’une entrée majestueuse à une non moins fastueuse fugue de sortie.
Avec Foccroulle, l’extrême maîtrise est au rendez-vous. Le monumentale Prélude initial plonge immédiatement l’écoute dans une impressionnante cérémonie, bientôt fluidifié par la richesse timbrique du bel instrument de Thomas. À l’urgence en tonnerre divin de la partie de basse succède la méditation tendre d’un Kyrie aérien, choral quasiment impalpable. Christe, aller Welt Trost marie les résines sur un grave chaleureux, tandis que Gott heiliger Geist renoue avec de fières volutes dont le brio s’agrémente de brillantes audaces harmoniques. Sans forcer le trait, l’interprète laisse entendre ses trésors, puis l’enfantine danse des flûtes séraphiques, Allein Gott in der Höh’ sei Ehr. On admire le travail de régistration des chorals suivants, chaud Dies sind die heil’gen zehn Gebot, à peine nasalisé, vigoureux Wir glauben all’an einen Gott, enfin le contrepoint délicatement feutré Vater unser im Himmelreich en guise de Pater noster. Véloce et doux, le choral suivant introduit la péroraison grand-genre d’Aus tiefer Not schrei’ich zu dir, à l’austère contrepoint. Après la tendre élégie de communion, si sereinement articulée, Bernard Foccroulle fait chanter la souveraine fugue finale.
Le lendemain, Francesco Filidei, organiste lui aussi compositeur, comme celui de la veille, commence son bref récital par deux pages empruntant à Das musikalische Opfer BWV1079. Après ses ricercare quelque peu nerveux, il offre à O Mensch, bewein' dein' Sünde gross BWV622, choral de carême extrait de l’Orgelbüchlein, une généreuse expressivité. Sans confronter l’écriture pour orgue d’aujourd’hui à celle du XVIIIe siècle, le festival accuserait une passagère incomplétude… Eh bien non, les contemporains sont bien de la partie : nous entendons Gmeeoorh, unique pièce pour orgue d’Iannis Xenakis, totalement exubérante (1974) et le bref Kalavinka de Noriko Baba (2007), à la concision pleine de surprise.
BB