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Chroniques
Bernard Lemmens et le Quatuor Stanislas
œuvres de Beethoven, Bowen, Schumann et Vierne
Un programme ambitieux avec des pièces peu jouées préside à l’événement qui tenu à l’Église de La Hulpe, en bordure de Bruxelles. Pompeusement intitulé « Grand Concert de Musique de Chambre » et placé sous le patronage du collège communal, il réunit quatre solistes à cordes de l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy qui forment le Quatuor Stanislas depuis 1984 (du nom de la célèbre place à faire le centre de la ville de Lorraine), et le pianiste wallon Bernard Lemmens, spécialiste d’Alexandre Scriabine et professeur à Bruxelles.
Dans la belle église romane, ceinte d’un plafond en bois suspendu sur quatre rangées de colonnes, dont l’acoustique se montre ample, le Quatuor Stanislas entame le concert avec une œuvre bien connue mais ardue, le Quatuor en mi mineur Op.59 n°2 de Ludwig van Beethoven, le deuxième des trois quatuors Razoumovski, du nom de ce comte et prince ambassadeur de Russie à Vienne au début du XIXe siècle, également patron des arts. Rappelons que cette pièce est entièrement en mi mineur et mi majeur, ce qui lui confère une homogénéité particulière dans l’ensemble du corpus quartettiste beethovénien.
Les interprètes font preuve d’un sérieux extrême dans leur jeu où la difficulté technique apparaît tout de suite évidente. S’ils sont admirablement ensemble dans le rythme comme dans les couleurs, le premier violon (Laurent Causse) chante plus ostensiblement, tandis que le violoncelle (Jean de Spengler) paraît un peu sec. En revanche, l’alto (Paul Fenton), d’habitude peu servi par sa position d’intermédiaire, affirme une belle présence. Le second mouvement, dont l’intention doit être recueillie et méditative, souffre d’une certaine dureté d’exécution, à l’image d’un jeu à la respiration pas toujours apparente. Quelque chose de mécanique se dégage également des mouvements suivants, si bien que le résultat d’ensemble, techniquement impeccable, laisse une impression de froideur, avec un certain manque de générosité.
Bernard Lemmens enchaîne les splendides Gesänge der Frühe Op.133 de Robert Schumann, royalement servis au disque par l’enregistrement du Français Jean Martin. À La Hulpe, le Belge a spécialement fait venir un Steinway grand queue qu’il a l’habitude d’utiliser depuis des années, si l’on en croit le mot tendre de son ami facteur (dans le programme) qui n’a « jamais vu un clavier usé de la sorte ; il évoque plutôt une falaise érodée, sapée par la force des marées et des vents » ! Bien qu’à l’écoute on puisse s’interroger sur l’opportunité de placer un tel instrument dans le chœur d’une église, de sorte que les graves s’exagèrent et que les aigus rutilent, comme sur celle de jouer Schumann de manière aussi peu intimiste, il est indéniable que le pianiste possède un jeu à la fois puissant et touchant. On retrouve bien là le caractère étrange et fascinant des cinq pièces du compositeur romantique, mélange de sentiments de désespoir et de rébellion, dernière œuvre qu’il ait pu mener à bien avant de sombrer dans sa folie.
Les trois pièces qui suivent ont été écrites par York Bowen (1884-1961), considéré comme le plus grand compositeur anglais ayant écrit pour le piano, et sont extraites des Préludes Op.102. De facture classique, elles n’en sont pas moins difficiles à jouer, en particulier le troisième choix qui – ô surprise ! – semble presque entièrement calqué sur un Prélude de Rachmaninov – mais « avec encore plus de notes » comme le précise Bernard Lemmens en aparté.
Après la pause, les cinq musiciens donnent le Quintette pour piano et cordes en ut mineur Op.42 de Louis Vierne (1870-1937), organiste et compositeur français, aveugle de naissance. Expression d’un déchirement fantastique à la suite du décès de son fils, volontaire à la guerre en 1917, cette œuvre tourmentée en impose par des jeux de contrastes saisissants où le piano dispute sa suprématie aux cordes dans des monologues successifs ou par des envolées de concert. À l’évidence, Vierne maîtrisait l’art de chacun des instruments de ce quintette, et l’on ne sera pas surpris d’apprendre que son catalogue comprend plusieurs pièces pour piano, un quatuor à cordes et des sonates pour clavier et cordes. Dans l’église, l’effet en est encore renforcé par la présence écrasante du piano, malheureusement ouvert. À l’issue des trois mouvements, on quitte les lieux dans un sentiment mêlé d’hébétude et de colère, finalement bien rendu par cette version trépidante et en rien complaisante.
CA