Chroniques

par bruno serrou

Bestiaire de l’Ensemble Clément Janequin

Le Centquatre, Paris
- 19 décembre 2010

Trois semaines après son concert sur la Péniche Opéra [lire notre chronique du 29 novembre], l’Ensemble Clément Janequin était au Cenquatre, ce dimanche, dans le cadre du week-end organisé sous l’égide de Radio France, intitulé Le bal des animaux. Sous la direction de Dominique Visse, son fondateur, le groupe polyphonique s’est fait connaître dans le monde entier par un premier disque placé sous le sceau de l’abbé Janequin, dont le titre était tiré de l’une des chansons profanes à le constituer, Le chant des oyseaulx. C’est à partir d’elle que l’ensemble a bâti son programme, un inénarrable Bestiaire de la Renaissance au XXIe siècle.

Sous l'impulsion de Visse, entouré de quatre de ses fidèles chanteurs - les ténors Hugues Primard et Vincent Bouchot, le baryton François Fauché et la basse Renaud Delaigue, accompagnés par Elisabeth Geiger à l’orgue positif et au clavecin -, l’ensemble s’est surpassé en humour, en grivoiseries alertes plus ou moins grinçantes, en onomatopées musicales et animales aussi savantes qu’irrésistibles, en grâce souriante et en mélodies habilement audacieuses, distillant un bonheur sans failles autour de chants et de noms d’oiseaux de toutes les couleurs et de tout acabit, depuis le lest Chant de l’alouette de Janequin (v.1485-1558) et, surtout, une hilarante Chasse du même Janequin où les chiens sont rois (Gnof, gnof… Plif plof… Tronc, tronc…), jusqu'à la création de Deux madrigaux zoologiques de Régis Campo (né en 1968), dont le réjouissant Alla misura. Un Régis Campo qui a également repris avec talent en la faisant sienne la chanson Une puce j’ay dedans l’oreill’ que Claude Lejeune (1530-1600) composait voilà plus de quatre siècles et que les artistes ont confrontés avec un plaisir communicatif, permettant ainsi d’apprécier avec quel talent le premier a su pénétrer l’esprit du second tout en restant lui-même.

Parmi les autres chansons, Six histoires d'animaux (le Cheval,le Corbeau,le Hérisson,l’Eléphant,le Cafard) de Paul Dessau (1894-1979) sur des fabliaux politiques de Bertolt Brecht inspirés de La Fontaine, l’inattendu La maman des poissons de Boby Lapointe (1922-1972) et le drolatique Intermède pour Le Mariage forcé de Marc-Antoine Charpentier (1643-1704), cadre d’une dispute entre trois chanteurs et deux joueurs de flûtes à bec remarquablement tenues par Dominique Visse et Hugues Primard à qui les professeurs de musique des collèges devraient faire appel pour montrer aux adolescents ce que l’on peut tirer de ces instruments de torture…

Quoique à l’opposé de Dessau - qui pour sa part eut à souffrir du nazisme et fut politiquement proche du parti communiste, comme l’attestent notamment ses œuvres chorales In memoriam Bertolt Brecht, Requiem pour Lumumba, Lénine, etc. -, Florent Schmitt (1870-1958), sympathisant du régime de Vichy et qui s’était écrié « Vive Hitler ! » durant la création à Paris des sieben Todsünden de Kurt Weill, a néanmoins composé des œuvres charmantes, dont une folâtre Arche de Noé prestement enlevée par les Janequin, tout comme les onomatopées du bestiaire de l’Italien Adriano Banchieri (1568-1634) en forme de Contrepoint animal improvisé… Une heure vingt de pur enchantement.

BS