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Chroniques
Bianca e Falliero ossia Il consiglio dei tre
Bianca et Falliero ou Le conseil des trois
Créé en 1819 au Teatro alla Scala (Milan), Bianca e Falliero est un ouvrage qui a contribué à la Rossini Renaissance, dont le Rossini Opera Festival (ROF) de Pesaro fut un acteur majeur. C’est en 1986 que la manifestation proposait cet opéra alors inconnu des amateurs, avec Katia Ricciarelli, Marilyn Horne et Chris Merritt dans les principaux rôles. Reprise en 1989 à nouveau en l’Auditorium Pedrotti (avec Lella Cuberli, Martine Dupuy, Chris Merritt), cette production de Pier Luigi Pizzi précédait la mise en scène de Jean-Louis Martinoty montée en 2005 au Teatro Rossini (avec Maria Bayo, Daniela Barcellona, Francesco Meli).
En 2024, c’est à Jean-Louis Grinda qu’est confiée une autre réalisation visuelle, installée dans le nouvel Auditorium Scavolini, soit le Palafestival qu’on connaissait comme précédent lieu de représentations du ROF, ancien gymnase de la ville mais salle fermée au public depuis quasiment vingt ans. Il aura donc fallu attendre cette année où la cité de Pesaro prend le titre de Capitale italiana della cultura pour boucler les travaux de rénovation, dont on dit qu’ils sont engagés depuis de nombreuses années. Mis à part la nécessaire mise aux normes et les équipements de sécurité, on retrouve la topographie des lieux et ses gradins inchangés… et l’on découvre malheureusement un léger tic-tic-tic-tic venant du système de ventilation, côté cour, bruit qui perturbe l’écoute et la concentration pendant les moments les plus calmes – il est à espérer vivement que cette nuisance aura disparu en 2025.
Le spectacle, réglé par Grinda et ses habituels collaborateurs Rudy Sabounghi pour les décors et costumes et Laurent Castaingt quant aux lumières, relève globalement d’une esthétique classique et plutôt élégante pour cet argument vénitien qui ressemble de près à Roméo et Juliette. Contareno, père de Bianca, veut, pour raisons politiques, marier sa fille à Capellio, mais celle-ci aime déjà Falliero, emprisonné plus tard et qui encourra la peine de mort ; mais contrairement au drame shakespearien, la fin est heureuse et réunit les deux amants. La scénographie est constituée principalement de cloisons mobiles et de deux balcons escamotables latéraux, un dispositif qui permet d’enchaîner rapidement les tableaux. Quelques détails de la mise en scène ne sont pas forcément indispensables, comme l’écran du début de soirée qui montre le passage à la télévision d’une speakerine des années soixante ou soixante-dix, ainsi que des images de la Guerre d’Espagne. Bianca entre en scène en accompagnant une femme aveugle qui se déplace avec une canne ; on imagine sa mère, ou bien la dernière épouse en date de Contareno ?...
La distribution vocale s’avère d’excellent niveau.
À commencer par le soprano Jessica Pratt en Bianca, comme un poisson dans l’eau dans ce rôle de pur bel canto. La technique de colorature est très fluide, ce soir, les aigus sont faciles, et la chanteuse se permet d’ajouter de nombreux suraigus et varie plusieurs reprises dans les airs. Si le Falliero d’Aya Wakizono ne possède pas exactement les mêmes caractéristiques vocales qu’Horne ou que Dupuy par le passé, le mezzo japonais utilise au mieux ses moyens, avec un engagement maximal et une rare intelligence musicale. L’interprète met logiquement davantage de volume et de brillant sur la partie aigüe du registre, sa longue scène du second acte déclenchant un tonnerre d’applaudissements – soit la cavatine Alma, ben mio, sì pura, suivie de la cabalette en plusieurs sections Tu non sai qual colpo atroce. Les duos entre ces personnages forment également de très beaux moments, en particulier les sections centrales lentes de passages le plus souvent en trois parties, jouées en nuance pianissimo, orchestre compris.
Troisième protagoniste d’importance, Contareno est interprété par le ténor Dmitry Korchak qui, lui aussi, met tous ses moyens à disposition pour enchanter nos oreilles. Si son entrée, Pace alfin per l’Adria splende, est un peu timide, le rôle se révèle rapidement détestable, dès l’air Pensa che omai resistere, agrémenté de notes aigües tenus et enflées. Une figure de père véritablement odieux, quasiment jusqu’à la fin de l’opéra, puisqu’il consent à l’union des deux amants en plein milieu de l’air final de Bianca, Teco io resto : in te rispetto, un quasi-copier-coller de Tanti affetti in tal momento, le rondo final de La donna del lago. Depuis que nous l’avons découvert au Wexford Opera Festival en 2022, nous suivons de près la carrière de la basse géorgienne Giorgi Manoshvili, distribuée aujourd’hui en Capellio, qui n’a malheureusement pas d’air à soi. Mais on admire à nouveau sa voix dans toutes ses interventions, comme lors du quatuor du second acte, Cielo, il mio labbro ispira, et ses entrées successives en canon. Les autres rôles complètent agréablement, avec en tête Nicolò Donini (Priuli) et Carmen Buendía (Costanza).
Au pupitre d’un Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI très solide techniquement, Roberto Abbado assure une direction musicale qui soutient la tension installée sur le plateau. Le chef choisit ainsi un tempo lent pour les premières mesures de l’Ouverture, ce qui accentue d’emblée le caractère dramatique de l’œuvre, ceci avant une animation plus rapide quelques instants plus tard. Les choristes du Teatro Ventidio Basso participent avec vaillance et franchise.
IF