Recherche
Chroniques
Biennale Pierre Boulez – épisode 1
Florent Boffard, Hideki Nagano, Dimitri Vassilakis
Comme tant d’autres événements culturels depuis la rentrée, la deuxième Biennale Pierre Boulez doit s’adapter à la crise politique actuelle. La manifestation qui devait s’étendre sur une semaine, du 15 au 21 janvier – sans compter la conférence de Christian Merlin à la BNF, dernier en date des biographes du compositeur disparu en 2016 [lire notre critique de l’ouvrage] –, se voit scindée en deux, avec des concerts reportés (28-30 juin) et d’autres qui font l’objet d’une diffusion en ligne (19-23 janvier). Ils sont l’occasion de redécouvrir l’œuvre pour piano en une intégrale confiée à six interprètes, au cœur de cet hommage. À commencer par Dimitri Vassilakis et Hideki Nagano qui apparaissent sur un écran partagé en plusieurs zones, permettant de suivre la course des mains sur les claviers, en plongée verticale.
Composé entre avril 1951 et mai 1952, le Livre I de Structures fait figure de manifeste du sérialisme intégral. Les années passant, Boulez réalise les limites que présente l’union entre cadre et mobilité. Non seulement le Livre II ne comporte pas les six chapitres prévus mais deux uniquement – achevés respectivement en 1956 et 1961, année de sa création à Donaueschingen, par l’auteur accompagné d’Yvonne Loriod –, mais encore fait-il allégeance à l’œuvre ouverte que des confrères expérimentent à l’époque (Pousseur, Stockhausen, etc.). Diablement virtuose, la première partie est animée, voire brutale, quoiqu’y perce toujours une certaine tendresse. On y sent l’élève de Messiaen s’aventurer avec plaisir dans le monde du timbre. Avec ses nombreux soli, la seconde partie confirme cette impression : plus aérée, plus nuancée, elle invite le cristal et la résonnance.
Dès 1946, le compositeur montre ce qu’il peut tirer d’un seul piano avec la première de ces trois sonates que l’on a parfois la chance d’entendre jouer le même jour, par le même interprète [lire notre chronique du 9 juin 2004]. En fin connaisseur, Dimitri Vassilakis interprète ici la Deuxième (1950), qui fut créée par Yvette Grimaud voilà soixante-dix ans [lire notre critique du CD]. Cette pièce dans laquelle « Boulez pousse très loin son amour de la polyphonie et du contrepoint », selon Christian Merlin (ibid.), ne cache pas l’héritage de Bach, Beethoven ou Schönberg. Le pianiste de l’Ensemble Intercontemporain fascine dans le redoutable premier mouvement où il trouve un chemin de nuances et une diversité de modes d’attaques. Malgré l’aridité, l’ornemental subsiste. Les deuxième et quatrième mouvements offrent des moments de lyrisme dépouillé, assez envoûtants, sublimés par un phrasé émérite.
Ce même 19 janvier, Florent Boffard prend le relais de ses confrères avec quatre pièces, dont les douze Notations (1946) où apparaît « toute l’ambivalence du jeune compositeur face aux contraintes dodécaphoniques, qu’il se lance le défi de respecter tout en s’en amusant » (ibid.). Ces pages weberniennes sont un terreau où reconnaître des éléments réutilisés ultérieurement, sans même parler des « graines » à la source de l’adaptation orchestrale [lire nos chroniques du 27 mars 2005, du 27 janvier 2012, du 22 novembre 2014 et du 1er juin 2017]. Sans faiblesse dans les passages nerveux, le pianiste propose une rondeur générale qui offre une certaine sensualité aux plus méditatifs.
Dans une courte pause pédagogique dont il a le secret [lire notre critique du CD Schönberg], Boffard rappelle que la Troisième Sonate (1957), présentée pour la première fois à Darmstadt par Boulez lui-même, est une œuvre ouverte et labyrinthique, dont l’exploration est laissée libre. Sans dureté, là encore, l’interprète aborde le premier des deux formants avec une clarté magnifiée par la prise de son. Le second permet de goûter une musicalité remarquable, soutenue par une pensée maintenue en continu. Enfin, réjouissons-nous d’entendre des fragments inédits issus du projet initial en cinq parties, qui justifieraient à eux seuls l’écoute de ce récital. Celui-ci s’achève avec Une page d’éphéméride (2008), pièce typiquement boulézienne associant la suspension et la déflagration, et avec la Première Sonate (1946/1951), tout aussi révélatrice d’une obsession pour la résonnance et la percussion, à une époque où son architecte s’éloigne de l’enseignement dogmatique de René Leibowitz.
Nous avons évoqué le Livre I des Structures ; il sera joué le 30 juin prochain par Michael Wendeberg et Nicolas Hodges. La veille, Ralph Van Raat, sixième pianiste de cette intégrale, donnera les pages sans doute les moins connues de Boulez, tel Trois psalmodies (1945) teinté de l’influence de Messiaen et Jolivet, dont c’est peu dire qu’elles furent vite reniées !
LB