Chroniques

par bertrand bolognesi

Biennale Pierre Boulez – épisode 2
Klaus Mäkelä dirige l’Orchestre de Paris

Pierre-Laurent Aimard, Christel Loetzsch, Accentus
live.philharmoniedeparis.fr / Philharmonie, Paris
- 20 janvier 2021
Boulez par l’Orchestre de Paris, Pierre-Laurent Aimard et Christel Loetzsch
© cédric alet

Après la première partie de l’intégrale de l’œuvre pour piano qui se poursuivra au mois de juin [lire notre chronique de la veille], la Biennale Pierre Boulez présentée par la Philharmonie propose aujourd’hui un concert de l’Orchestre de Paris et de son nouveau chef, le jeune Klaus Mäkelä. Ce concert est lui aussi donné dans une salle vide de tout public, devant des caméras grâce auxquelles artistes et mélomanes peuvent se rencontrer, si l’on ose dire, en attendant des jours meilleurs – on comprend mal comment les lieux de culture sont, nous dit-on, plus propagateurs du virus que les supermarchés ou les transports en commun…

Écrit en 1987 pour l’inauguration du musée, dessiné par Renzo Piano – l’architecte de la Fondation Beyeler, du Centre Pompidou et, surtout, de l’extension de l’Ircam –, de la Menil Collection d’Houston où il est créé la même année, avant une révision en 2010, Initiale réunit un septuor de cuivres (deux cors, deux trompettes, deux trombones et un tuba) qui, nous dit Hélène Cao dans la brochure de salle, « se prête à la spatialisation, bien qu’elle ne soit pas spécifiée dans la partition ». Les sonneries ascendantes enlacées en de nombreux jeux de canon ne bénéficient pas ici d’un tel dispositif, les instrumentistes ayant été placés sur une même ligne. Les motifs se laissent aisément identifier, le compositeur agissant ainsi sur la perception comme il aimait à le faire. Après quelques minutes à tourner, les lignes convergent vers une seule note-pôle, l’initiale où la pièce s’achève… ou s’inachève, peut-être. Des musiciens de la formation parisienne l’on apprécie l’approche précise.

Régulièrement programmé en ces rangs depuis une cinquantaine d’années, Les offrandes oubliées fut conçu par Messiaen à l’âge de vingt-deux ans – c’est dire si nous sommes loin des pages que Pierre Boulez comptait à son répertoire, tels Poèmes pour Mi (1937), Le réveil des oiseaux (1953), Chronochromie (1960), Couleurs de la cité céleste (1963), Et exspecto resurrectionem mortuorum (1964) et La ville d’en haut (1987) que le chef a créé, sans oublier Oiseaux exotiques (1956), Sept haïkaï (1962) et Un vitrail et des oiseaux (1986) dont il fut le commanditaire [lire nos chroniques du 19 novembre 2005, du 28 novembre 2007 et du 12 avril 2010]. Dans l’interprétation tour à tour molle et crispée du chef finlandais, cette méditation symphonique en trois séquences enchaînées (La croix, Le péché, L’Eucharistie) peine à retenir l’écoute. De même l’abord globalement brouillardeux du Concerto en ré majeur pour la main gauche de Ravel qui ne satisfait qu’avec le Lento en solo, superbement chanté, de Pierre-Laurent Aimard, c’est-à-dire assez tard dans l’exécution, il le faut avouer.

À l’automne 1965, à la tête des Berliner Philharmoniker in loco avec Catherine Gayer dans la partie soliste, Boulez dirigeait lui-même la création de la quatrième version du Soleil des eaux, sa deuxième entrée dans la poésie de René Char, après Le visage nuptial (1946/1989) et Le marteau sans maître (1954/1957) [lire nos chroniques du 25 février 2014 et des 16 mars 2003, 6 janvier 2010, 1er et 10 févier 2013, 15 décembre 2015, 2 décembre 2017, 13 décembre 2018] – la seconde date dans la parenthèse signifie l’année de la révision définitive, le compositeur n’ayant jamais hésité à revenir sur ses travaux. C’est un cadeau que d’entendre l’œuvre chantée par l’excellente Christel Loetzsch [lire notre chronique de Macbeth Underworld] qui se joue aisément des difficultés des intervalles et des dangers de l’a cappella. Quant à la diction française, non contente de la parfaitement vérifier l’artiste magnifie le texte à travers une théâtralisation raisonnable qui fait autorité. On n’en saurait dire autant de la partie instrumentale plutôt floue, sans que la responsabilité en incombe aux musiciens de l’orchestre. Préparées par Richard Wilberforce, les voix d’Accentus ne déméritent pas.

Le moment le plus probant de la soirée sera l’exécution de La mer de Debussy, page tissée dans l’histoire de l’Orchestre de Paris auquel il est arrivé de la jouer plusieurs fois par an – à calculer une moyenne à partir de ses apparitions régulières depuis la fondation de l’orchestre, on peut affirmer que cet opus figure au programme environ tous les dix-huit mois : c’est assez dire si ces pupitres connaissent la partition. Outre la délicatesse des timbres, on apprécie particulièrement la couleur scintillante des parties de violon solo, tenues par Eiichi Chijiiwa. Au relief subtil entendu dans De l’aube à midi sur la mer succèdent pourtant des Jeux de vagues cruellement dépourvus de sensualité puis un Dialogue du vent et de la mer surcontrasté. Indéniablement, il revient à Klaus Mäkelä de préciser ses intentions musicales dans l’avenir et d’étoffer la palette qui lui permettra de les transmettre – nous en sommes loin.

BB