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Chroniques
Billy Budd
opéra de Benjamin Britten
Adapté du roman d’Herman Melville, Billy Budd de Benjamin Britten est l’un des sommets de l’opéra du XXe siècle. Composé en 1951 pour le Festival of Britain, il conte sous forme de flash back le sort du jeune et beau marin William Budd pour qui le maître d’armes John Claggart voue immédiatement une haine tenace au point de l’accuser injustement de fomenter une mutinerie. Cette parabole sur le bien (Budd) et le mal (Claggart), sur l’innocence et le désir qui s’affrontent sous le regard indécis du pacha, le capitaine Vere, la discipline des navires de guerre, la mécanique implacable de règlements odieux et la jalousie vont écraser le marin Billy que l’angoisse et la contrariété rendent bègue – cette histoire d'hommes d’où les femmes sont exclues, la mer omniprésente, avec de sublimes échappées poétiques vers le silence du ciel, a inspiré à Britten quelques-unes de ses plus belles pages.
L’Opéra national de Paris reprend jusqu’à mi-mai le spectacle mythique de Francesca Zambello créé à Genève en 1994 et entrée au répertoire de Bastille en avril 1996 [lire notre dossier], spectacle magistral par son intelligence, son épure et son atemporalité. En effet, l’Américaine signait avec cet opus ce qui est sans doute la plus accomplie de ses productions, réalisant une mise en scène épurée mue par une direction d’acteurs vive et précise, magnifiée par un unique décor modulable de la scénographe britannique Alison Chitty, excellemment mise en lumière par Alan Burrett. Cette production, qui n’a pas pris une ride malgré ses seize ans d’âge, met à nu les arrières pensées et états d’âme des protagonistes. L’ambiguïté de personnages aussi complexes que le lieutenant Claggart et le capitaine Vere est sobrement rendue et oscille entre réalisme et métaphore – la figure christique de Billy Budd sacrifié pour que l’ordre règne sur le navire, soulignée par sa posture de crucifié au mât de misaine, ne fait pas redondance mais, au contraire, paraît infiniment naturelle.
Kim Begley est remarquable en capitaine, lâche et éperdu de remord. Gidon Saks, déjà présent lors de la reprise de 2001 dans le même rôle de Claggart, est excellent acteur et musicien, et possède la noirceur vocale de ce rôle odieux. L’ensemble de la distribution est particulièrement équilibré, même si l’on a craint, en première partie, pour la fragilité vocale de Lucas Meachem. Mais le baryton américain campe finalement un Budd solide et émouvant, tout en nuances dans ses derniers instants.
La direction en finesse, en tensions et en onirisme marin de Jeffrey Tate (que l’on retrouve avec bonheur dans la fosse parisienne) porte cette reprise au sommet et lui donne presque à elle seule toute sa valeur.
BS