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Chroniques
Billy Budd
opéra de Benjamin Britten
Le centenaire de la naissance de Benjamin Britten (1913-1976) aura été occulté par les bicentenaires Verdi et Wagner dans la plupart des grandes salles du monde, seuls la Deutsche Oper am Rhein et l’Opéra national de Lyon rendant hommage à l’un des plus grands compositeurs d’opéras par un cycle. Le premier des quatre représentés à Düsseldorf, Billy Budd, et l’un des plus célèbres, fut composé en 1951 d’après un texte de Melville, d’abord en quatre actes pour être recréé treize années plus tard en deux seulement. Il raconte comment un marin engagé de force dans l’armée britannique en 1797 sur le HMS Indomitable pour se battre contre les Français en Méditerranée se trouve accusé de mutinerie et condamné à mort par pendaison [lire notre dossier d’avril 2010].
La mise en scène d’Immo Karaman applique une lecture particulièrement angoissante à l’argument, annonçant, dès le premier monologue du Commandant Vere tenu par l’excellent Raymond Very, la pendaison de Billy Budd, par la chute brutale d’un lustre qui en marque la violence. D’abord constitué de deux panneaux représentant l’intérieur d’une maison, le décor de Nicola Reichert évolue par glissement vers l’intérieur d’un cuirassier ou d’un sous-marin. Dans un ballet perpétuel, ses multiples panneaux amovibles créent les méandres d’un labyrinthe en forme de vaste huis-clos, justifiant l’exacerbation des émotions, à commencer par la peur. Campé par le convaincant Sami Luttinen, le Capitaine Claggart n’est donc pas ici un sadique passant ses nerfs sur la jeune recrue, mais plutôt un angoissé qui doit maîtriser un équipage en évitant à tout pris une révolte qui ruinerait en pleine guerre l’image de la marine et la puissance du royaume d’Angleterre. Il est correctement soutenu par le Redburn de Michael Druiett et le Flint légèrement moins en voix d’Ashley Holland dont la projection plus faible fait ressortir la qualité du chant de Torben Jürgens en Lieutenant Radcliffe (qu’il faudra suivre en Leporello et Figaro, cette saison).
Le reste d’un plateau de seconds rôles homogènes est renforcé par un excellent chœur qui apparait dans la première scène de façon fantomatique, comme si tout homme n’était plus qu’une ombre à partir du moment où il entre sur le bateau-prison. Lorsque tous s’habillent ensuite, les similitude entre les costumes d’officiers et ceux de gardes-chiourme renforce cette notion de prison et souligne la forte domination sur le reste de l’équipage, identifié dans l’Acte II à de simples obus aux couleurs des soldats anglais, placés comme les quilles d’un jeu rappelant la perte de valeur de la vie humaine en période de combat.
Ressortant de la distribution, dont il faut tout de même relativiser la prononciation parfois incertaine de l’anglais, le Billy de Lauri Vasar [lire notre chronique du 29 mars 2013] manque quelque peu du charisme qu’avait autrefois Bo Shkovus dans ce rôle, mais projette son personnage grâce à un belle ligne de chant, trop sérieuse dans la scène de jeu des matelots, mais pétrifiante dans l’air final, juste avant le dernier monologue de Vere et la reprise de l’image initiale. Budd est un héros très naturel qui renforce l’idée que Claggart en a peur en tant que mutin potentiel, mais n’en est pas jaloux comme c’est le cas dans certaines mises en scène.
Enfin, l’on doit la réussite quasi-totale de ce spectacle au chef Peter Hirsch – à Pleyel, venu remplacer Daniel Harding souffrant, il magnifiait la Lyrische Sinfonie Op.18 de Zemlinsky [lire notre chronique du 3 décembre 2010]. Sa direction prend l’auditeur à la gorge dès les premiers accords, avec une angoisse et une noirceur seulement contrebalancées par de grands moments de lyrisme. Les musiciens Düsseldorfer Sinfoniker le suivent totalement, affirmant de superbes pupitres, notamment les bois, auxquels seul pourrait être fait le reproche d’une sonorité plus allemande que britannique.
Gageons que soient aussi intéressants Peter Grimes, The Turn of the Screw et Death in Venice par le même metteur en scène, cette saison-ci.
VG