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Chroniques
Billy Budd
opéra de Benjamin Britten
En alternance avec les représentations de La ciudad de las mentiras d'Elena Mendoza [lire notre chronique de la veille], le Teatro Real fait entrer à son répertoire Billy Budd de Benjamin Britten, ouvrage défendu avec constance par le nouveau directeur des lieux, Joan Matabosch – il l'avait d'ailleurs programmé pendant son mandat à Barcelone. Coproduit avec Rome, Helsinki et Paris, le spectacle réglé par Deborah Warner peut se voir comme une opportunité salutaire de combler la relative rareté de la pièce (en particulier sur les scènes françaises) [lire notre dossier Billy Budd].
De concert avec la scénographie épurée de Michael Levine, l'économie de la conception proposée par la Britannique privilégie une esthétique très plastique, articulée par des cordages à vue qui, symbolisant l'implacable mécanique de la hiérarchie militaire, permettent également une modulation des espaces, de la cale au pont. Les outremers et les lumières nocturnes de Jean Kalman contribuent à sculpter la masse soumise des marins sans négliger la dimension mnésique du prologue et de l'épilogue.
Plutôt que s'attarder sur l'attirance homosexuelle refoulée par Claggart, laissée ici dans une imprécision ambiguë, voire ambivalente, la présente lecture prend davantage l'allure d'une opposition parabolique – teintée d'une poétique manichéenne aux ressources que d'aucuns qualifieraient de chrétiennes – entre le mal incarné par le capitaine d'armes et l'innocente bonté du matelot, dont la beauté se donne essentiellement comme métaphore d'une pureté morale insupportable jusqu'à l'humiliation pour la vilenie pécheresse. La naïveté de Billy Budd irradie ainsi d'une lumière christique qui pourrait être empruntée, par exemple, aux préraphaélites, peu ou prou contemporains de Melville.
Dans le rôle-titre où il s’est déjà distingué [lire notre critique du DVD], Jacques Imbrailo restitue admirablement la simplicité et la juvénilité d’un personnage imperméable aux artifices, et contraste avec la noirceur tourbeuse du Claggart de Brindley Sherratt, à l'évidente plénitude de moyens. Toby Spence résume la lâcheté tourmentée d’Edward Fairfax Vere, affirmant une vocalité qui épouse, avec une intelligence instinctive des effets textuels, les méandres de la récapitulation mentale. Le Redburn de Thomas Oliemans [lire nos chroniques du 9 mars 2013 et du 28 octobre 2016] ainsi que le Flint de David Soar dessinent une appréciable consistance, sans confondre leurs idiosyncrasies face au jugement impuissant du capitaine.
Sans s'arrêter à tous les emplois de cet opéra exclusivement masculin – un réalisme qui a aussi valeur de manifeste dans le genre lyrique –, on retiendra le Dansker généreux et presque gouailleur de Clive Bayley, le novice dévolu à Sam Furness, le Squeak de Francisco Vas ou encore Christopher Gillett, Torben Jürgens et Duncan Rock, respectivement Whiskers, Ratcliffe et Donald, sans oublier l'intervention de Manel Esteve en officier Bosun, d'une brutalité sans fard [lire nos chroniques du 6 août 2016 et du 20 février 2010].
Préparé par Andrés Máspero, le chœur participe activement aux élans de la geste, portée par une puissance rythmique que la direction parfois instinctive d'Ivor Bolton s'attache à communiquer aux pupitres madrilènes.
GC