Chroniques

par laurent bergnach

Bojan Gorišek et le Quatuor Diotima
programme George Crumb

Opéra Comique, Paris
- 17 juin 2008
le compositeur américain George Crumb à l'honneur de cette soirée
© sarah shatz

Cette soirée consacrée à George Crumb (né en 1929) propose tout d’abord de retrouver le spécialiste slovène de la musique contemporaine, l’exceptionnel Bojan Gorišek, découvert au dernier MIDEM dans un programme unissant l’auteur de Gnomic Variations à Glass et Satie [lire notre chronique du 29 janvier 2008]. Ce soir, il joue neuf des vingt-quatre pièces qui composent Makrokosmos : écrite en 1972 (volume I) et 1973 (volume II), l’œuvre s’inspire des Préludes de Debussy, de Bartók ainsi que du schéma zodiacal. La préparation, l’amplification, les références à la tradition classique du piano s’y mêlent aux interventions de son utilisateur (sifflement, psalmodie, grognement, etc.)

On a souvent cité les influences orientales de Crumb ; avec son ostinato entêtant et ces bandes de papiers coincées entre les cordes qui transforment le piano en cymbalum, Morning Music (Genesis II) nous entraîne d’emblée vers Europe centrale. Pour Ghost-Nocturne... (Night-Spell II), c’est un verre qui modifie le son, lui donnant l’apparence d’une guitare électrique miaulant, tandis que le pianiste s’exprime à l’aide de nasales. L’inventivité est plus discrète en ce qui concerne Rain-Death variations, prélude aux déflagrations monstrueusement orchestrales de Twin Suns (Doppelgänger aus der Ewigkeit), à son Dies Irae résonnant dans un halo de grincements pédalisés. Tora ! Tora ! Tora ! (Cadenza Apocalittica) recèle une citation de Chopin d’une inquiétante étrangeté, tandis que Liszt apparaît sous les notes d’A Prophecy of Nostradamus. Cependant, on n’est pas dans un jeu simplet de citations : le travail de Crumb va systématiquement au-delà, comme nous le prouve Dream Images (Love-Death Music) qui convoque de nouveau Chopin et Debussy. Quant à l’exultation qui soutient Litany of the Galactic Bells, c’est aux couleurs de Gershwin (parfait, pour ces Rumeurs...) et de Messiaen qu’elle ramène. Dernière pièce du cycle, le paisible Agnus Dei clôt également cette première partie de concert. On félicitera le soliste de jouer tout cela par cœur, mais non le public d’oser greffer à ce magnifique travail bruits de gorge, d’éventail et de sac à main, tant d’autres choses qu’habituellement on garde pour le restaurant.

Suit Musica da camera (2003), documentaire de Philippe Béziat qui retrace la journée de trois musiciens venus interpréter Madrigals Book III de Crumb (sur des poèmes de Federico García Lorca) dans une église de Haute-Savoie. Pour filmer ce trio, trois images tournées en vidéo numérique ont été assemblées afin de former une seule grande image. Le tissage d’une mise en regard solistique y est intéressant, tout comme certaines trouvailles – la neige tombe devant l’église (gauche), la nef a vertu horizontale tout en arborant un dessin vertical (centre), tandis qu’en loge, la fumée d’une cigarette monte lentement (droite).

Enfin, Black Angels (Images I), treize Images de la Terre Sombre, remporte également notre adhésion. Depuis les années cinquante, Crumb s’intéresse aux techniques électroniques. Composé en 1970 pour quatuor à cordes électriques, l’œuvre fait référence aux anges bannis du Paradis, mais aussi aux victimes du Vietnam. « J’en vins à reconnaître, dit le musicien, arrivant au terme de sa composition, qu’il y avait quelque chose en résonance avec cette époque étrange. C’est alors que je la nommai musique in tempore belli, pour temps de guerre ». Le voyage d’une âme y est évoqué en trois parties : Départ (perte de la grâce), Absence et Retour (rédemption). Gongs, maracas et verres de cristal complètent l’instrumentarium du Quatuor Diotima, tendu semble-t-il, mais efficace à rendre la tendresse de la Sarabanda De La Muerte Oscura ou le lyrisme du violoncelle sur les voix célestes (archets sur les verres).

LB