Chroniques

par bruno serrou

Boulez acoustico|électro
solistes de l’Ensemble Intercontemporain

Festival Messiaen au Pays de la Meije / Salle du Dôme, Monêtier-les-Bains
- 4 août 2010
Bruno Serrou photographie Pierre Boulez à La Meije
© bruno serrou

S’ouvrant aux contours du massif de La Meije, le Festival Messiaen a, pour un soir, planté son chapiteau dans la station thermale de Monêtier-les-Bains, sur le flanc sud du col du Lautaret, pour un concert monographique consacré à Pierre Boulez. Un programme axé sur la résonance, résonance naturelle et résonance artificielle, avec bande et avec informatique en temps réel. La première était illustrée par trois pages majeures pour piano, la Première Sonate et deux partitions enrichies de l’expérience électroacoustique, Incises et Une page d’éphéméride.

Composée en 1946, après les Notations, la Sonate n°1 se réfère aux Trois Pièces pour piano Op.11 (1909) d’Arnold Schönberg, plus particulièrement à la dernière, dans laquelle le Viennois pousse l’atonalité et l’athématisme jusqu’à leurs plus extrêmes conséquences. Néanmoins, si l’on trouve dans la sonate une certaine dualité compositionnelle, il ne s'agit pas ici de dualité thématique et moins encore harmonique, comme c’était le cas dans la définition classique de la sonate, mais d’une confrontation entre divers types d’écriture qui s'opposent par le tempo, l’intensité, le phrasé, et se regroupent en sections contrastantes. Gommant la densité et le caractère anguleux de leur écriture, la jeune lauréate du Concours Messiaen 2007, Marie Vermeulin, met magnifiquement en exergue le lyrisme véhément du jeune Boulez, la grande diversité des plans de l’écriture.

Sa musicalité à fleur de peau et sa palette sonore d’une richesse inouïe exaltent les résonnances extraordinaires d’Incises, conçu en 1994 pour un concours organisé par Maurizio Pollini mais donné au Festival Messiaen dans la version développée de 2001, et qui, sous cette forme, devient l’une des partitions pour piano les plus magistrales du répertoire contemporain. Plus courte, Une page d'éphéméride est à ce jour la dernière pièce pour piano du compositeur. Ecrit en 2005 pour le recueil Piano Project – morceaux écrits par neuf grands musiciens de notre temps (les huit autres étant Georges Aperghis, Péter Eötvös, Ivan Fedele, Cristobal Halffter, Michael Jarrell, György Kurtág, Luis de Pablo et Salvatore Sciarrino) pour de jeunes interprètes ayant plus de quatre ans de pratique –, l’opus boulézien n’a rien de vraiment simple, comme le reconnaît son auteur. Pourtant, sous les doigts de Marie Vermeulin, ces feuillets d’album apparaissent dans toute leur densité et leur exceptionnelle palette de timbres et de résonnances.

La partie électronique s’ouvre sur Dialogue de l’ombre double pour clarinette et bande. Empruntant son titre au Soulier de satin de Paul Claudel, conçue en 1985 pour le soixantième anniversaire de Luciano Berio, créée à Florence par Alain Damiens le 28 octobre de la même année, l’œuvre alterne six strophes et autant de transitions interprétées par le même instrumentiste, les premières étant jouées sur scène en direct, les secondes ayant été préalablement enregistrées pour être diffusées par haut-parleurs. À la présence réelle et localisée des unes (l’instrument) s'oppose la présence imaginaire et diffuse des autres (l’ombre double). Les strophes sont chacune centrées sur une idée unique, tandis que les transitions font passer insensiblement d’un motif à l’autre.Membre de l’Ensemble Intercontemporain, Jérôme Comte en donne une interprétation précise et coloriste, tout en sollicitant le mystère et la magie intrinsèques de l’œuvre.

La création avec informatique en temps réel de Boulez est représentée par Anthèmes 2 pour violon MIDI et électronique, extension de l’acoustique Anthèmes (1991). Parmi les nombreuses techniques nouvelles développées par les équipes de l’Ircam, Anthèmes 2 utilise un système sophistiqué fondé sur une approche perceptive de l’écoute spatiale qui permet à l’auditeur d’entendre clairement des sons quelque soit l’endroit où il se trouve, indépendamment de sa situation et du nombre de haut-parleurs utilisés. Hae-Sun Kang, autre membre de l’Intercontemporain, joue par cœur, comme à l’accoutumée, donnant ainsi une interprétation à la fois virtuose et intense, toute emplie de l’œuvre qu'elle a créée en 1997, exaltant la variété des sonorités et des contrastes suscités par la diversité du jeu instrumental.

BS