Chroniques

par hervé könig

Boulez, Jarrell et Lachenmann
Ensemble Intercontemporain, Matthias Pintscher

ManiFeste / Philharmonie, Paris
- 11 juin 2015
le jeune Victor Hanna joue magnifiquement Assonance VII de Michael Jarrell
© dr

Dispositif inhabituel à la Philharmonie, pour ce concert donné dans le cadre de l’édition 2015 du festival de l’Ircam, ManiFeste, que nous suivons depuis une petite semaine [lire nos chroniques du 2 et du 5 juin 2015] : pour commencer, un poste de percussion est dessiné par la lumière, au centre de l’espace, le public étant, quant à lui, théâtralement plongé dans le noir pour écouter Assonance VII de Michael Jarrell. Avec l’abondante série des Assonances le compositeur suisse fixe des réservoirs, en quelques sortes, un peu à la manière de Berio explorant grâce à ses Sequenze des matériaux qu’il retravaillerait par la suite dans d’autres formes. Celle de ce soir est une pièce de concours, créée à Genève il y a vingt-trois ans.

Le très talentueux Victor Hanna [photo] n’en compte guère que quatre de plus. Entré dans la classe de Michel Cerutti au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris à l’âge de vingt ans, ce véritable petit génie avance à pas de géant et approfondit bientôt sa pratique dans les orchestres académiques des festivals de Verbier et de Lucerne. Après avoir « cachetonné » pour 2e2m, Multilatérale et Le Balcon, il devient membre de l’Ensemble Intercontemporain en 2012. En tout point fidèle à l’esprit de l’œuvre qui manie le paradoxe d’user de la percussion dans une surprenante douceur, le jeune homme caresse les gongs, masse les crotales, chatouille le vibraphone, au fil d’un ballet solitaire et hypnotique. La pièce fait mine de finir comme elle avait commencé… mais non, la voilà qui s’éloigne plus qu’elle ne se conclut, insaisissable. Sous les applaudissements nourris d’une salle conquise, Victor Hanna invite le maître qui vient saluer.

En 1984, à Paris, c’est le chef (et compositeur) hongrois Péter Eötvös qui, à la tête de l’EIC, donnait la première mondiale de Mouvement :(–vor der Erstarrung) achevé la même année par Helmut Lachenmann. Dirigés par leur actuel « patron » Matthias Pintscher, dix-sept solistes du même ensemble frottent et grattent et frôlent et grincent les soubresauts de la mort, tels qu’annoncés par le compositeur allemand dans sa notice de l’œuvre. La fébrilité rythmique suinte le vain refus de s’abandonner à la faucheuse, comme la suspension de la respiration, à certains moments. De ce combat l’on sait bien qui sortira vainqueur… les archets résiduels en haut de manche sont définitivement interrompus par la tonique pression de la paume dans l’embouchure de la trompette, ultime sursaut d’un ventre ayant déjà changé de propriétaire(s).

Après l’entracte, c’est une page de la même année (du moins quant à sa version définitive) que donnent nos interprètes, une page qu’ils ont beaucoup donnée : Répons pour six solistes – Sébastien Vichard et Hideki Nagano (pianos), Frédérique Cambreling (harpe), Samuel Favre (vibraphone), Gilles Durot (xylophone), Luigi Gaggero (cymbalum) –, ensemble spatialisé et électronique en temps réel. Pas de bonne surprise, pourtant : Pintscher confirme son peu d’efficacité à jouer la musique de Pierre Boulez. Son approche passe à côté de sa finesse et de sa vitalité, alourdissant curieusement le propos. Dommage.

HK