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Chroniques
Boulez, Liszt et Scarlatti par Dimitri Vassilakis
Beethoven, Boulez, Liszt et Scriabine par Jean-Efflam Bavouzet
Respectant sa formule (dorénavant consacrée) d'intégrer à un programme classique une pièce contemporaine, le Printemps des Serres d'Auteuil, de même que son grand frère automnal Les Nouveaux solistes aux Serres d'Auteuil, concentre l’édition 2004 sur deux compositeurs nés en 1925 dont l'œuvre continue de fasciner notre écoute et d'influencer la création : Luciano Berio et Pierre Boulez [photo]. Ce week-end, l’on entend les pianistes Jean-Efflam Bavouzet et Dimitri Vassilakis dans deux fins d'après-midi totalement différentes.
Pour commencer son récital, Jean-Efflam Bavouzet choisit La Tempête, ou Sonate en ré mineur n°17 Op.31 n°2 de Beethoven. Il en propose un Largo savamment intériorisé. Ici, ce n'est certes pas unetempête au sens climatique du terme, mais bien plutôt une révolution intime qui s'exprime. On apprécie la rondeur de sonorité des motifs lents, devenus récitatifs lisztiens de caractère méditatif, une qualité entretenue dans le moelleux Adagio central dont le chant gentiment porté par un legato nourri annonce Schubert. Une accentuation volontairement heurtée vient contredire le discours, bouleversement qui n'aurait pas dit encore son dernier mot. Et c'est bien ce que révèle un dernier mouvement qui se gonfle jusqu'à la peur d'une énergie prête à tous les débordements.
Suit une interprétation d'une gravité déroutante de la Sonate en majeur n°22 Op.54, mue par des contrastes parfois surprenants et une accentuation tant autoritaire que dynamique. On goûte un Menuet qui alterne « coups de gueule » et préciosité, puis un ferme Allegretto s'achevant assez brutalement. Il paraît naturel d'enchaîner la Sonate n°1 de Pierre Boulez qui, s'il est volontiers stimulé par le répertoire beethovénien dans ces années-là, à en juger par la puissance et le contraste de son écriture, s'inspirerait plus directement de l'Hammerklavier pour sa Sonate n°2, en 1948. Bavouzet sculpte une expressivité d'airain, avec une franchise qui n'a d'égale que l'effervescence infernale avec laquelle il articule le second mouvement, soulignant certains effets de résonance qu'on retrouvera plus tard dans l'orchestre boulézien. Pour finir, en fin coloriste il donne la Fantaisie en si mineur Op.28 écrite par Alexandre Scriabine en 1900, détachant certaines nuances avec une relative préciosité qui, une nouvelle fois, sonne Liszt. Du reste, comme si sa volonté y tendait depuis le début, Jean-Efflam Bavouzet offre En rêve pour remercier le public.
Le lendemain, Dimitri Vassilakis ouvre un fort beau moment de musique par six sonates de Scarlatti dont il souligne la fantaisie tout en affirmant un jeu jamais superficiel. Subtilement, le pianiste révèle une légèreté qui n'en est pas une, plutôt une pudeur mélancolique qui se veut toujours aimable, comme une tendresse apprivoisant d’insoupçonnables dangers. Désignant les motifs obsessionnels de cette musique, se risquant plus d'une fois à précariser la sonorité, nous faisant entrer directement dans les séductions empoisonnées d'un univers fermé sur lui-même, jouant délicatement avec les raffinements de l’écriture, il propose un Scarlatti inquiet, voire angoissé.
Pièce maîtresse de son récital, la complexe Sonate n°2 de Boulez explore des proliférations illimitées contenues par une forme contraignante, hérité du piano classique. Aussi est-on littéralement estomaqués devant l'incroyable fidélité de l'interprète à toutes les indications de nuance, de dynamique et de caractère d'une partition redoutable. Cette œuvre a provoqué des versions fort diverses : ainsi Pierre-Laurent Aimard s'y montra-t-il parfois ascétique, Florent Boffard poète, Dimitri Vassilakis se révélant aujourd'hui contrarié, jusqu'à Paavali Jumppanen qu'on y trouve onirique [lire notre chronique du 9 juin 2004] ! Cette fois, le Très librement final s’avère vraiment très libre, s'étiolant jusqu'à s'achever dans une demi-teinte d'une délicatesse exquise. Dans la même profondeur, Vassilakis prend congé avec deux extraits des Études d'exécution transcendante de Ferenc Liszt : un Chasse-neige qu'il rend orchestral, précédé de Ricordanza, déjà impressionniste.
Si Boulez était plus présent dans cette série printanière, avec ces deux Sonates, le Livre pour quatuor et Incises, côtoyant le Quatuor et la Sonate de Berio, la proportion s'inversera dans le cadre des Nouveaux solistes – nous attirons particulièrement votre attention sur les récitals d'Elena Rozanova (28 août), Maurizio Baligni (3 septembre) et Giovanni Bellucci (27 août) – qui consacreront six concerts au compositeur italien et trois au Ligérien.
BB