Chroniques

par gilles charlassier

Brahms et Ligeti par Court-circuit
Jean-Marie Cottet, Antoine Dreyfuss, Alexandra Greffin-Klein

Salle Cortot, Paris
- 9 janvier 2017
Les musiciens de Court-circuit jouent le Trio de György Ligeti (1982)
© dr

Remarquable écrin intimiste au cœur de l'École Normale Supérieure de Musique, sise rue Cardinet, la salle Cortot invite les solistes de l'ensemble Court-circuit pour une série de concerts d'une heure, En miroir, qui met en regard un compositeur contemporain avec un alter ego du grand répertoire. Ainsi les mélomanes ont-ils pu entendre Hurel face à Ravel et Monnet associé à Janáček, avant un doublé Ligeti-Brahms en ce deuxième lundi de janvier, à l'aveuglante évidence : le maître hongrois avait lui-même conçu son Trio avec cor comme un hommage à Brahms. C'est donc à cet effectif original que rend justice le présent programme.

S'il salue son prédécesseur, György Ligeti n'en façonne pas pour autant un pastiche. Pièce considérée comme centrale par Boulez, sinon matricielle, dans l'œuvre de son auteur, le Trio pour violon, cor et piano (1982) concentre en effet les ressources des premiers opus comme les développements stylistiques plus tardifs – du recueil Musica ricercata (1951/53) au Concerto pour piano et orchestre (1985/88) ou aux Études pour piano (trois Livres : 1985, 1994 et 2001), pour ne citer que ces pages – et, sous l'apparence d'une facture que d'aucuns qualifieraient de classique, explore les alchimies sonores qui lui sont chères.

Dans l'Andantino con tenerezza augural, le violon d'Alexandra Greffin-Klein invite le cor d'Antoine Dreyfuss à un délicat jeu imitatif, ponctué par le piano percussif de Jean-Marie Cottet, avant une intensification expressive des textures, pour revenir à une fluidité qui s'évanouit dans l'éther du manche. La complexité des tempi du Vivavicissimo molto ritmico permute la hiérarchie entre les pupitres et s'affirme d'abord comme un dialogue entre clavier et cor, le premier impulsant un canevas que le second commente avec lyrisme et virtuosité, souligné par de vigoureux coups d'archet. Après les effets rythmiques de l'Alla marcia, le finale (Lamento, adagio) évoque l'Omaggio a Girolamo Frescobaldi qui referme le cycle Musica ricercata, ou annonce Automne à Varsovie dans le premier livre des Études pour piano, dans une intensification dramatique qui va de pair avec un chromatisme, jusqu'aux tréfonds du clavier, tandis que le cor évolue dans des couleurs en sourdine.

Le contraste romantique avec le Trio en mi bémol majeur Op.40 de Johannes Brahms (1865) ne signifie pas pour autant une schizophrénie herméneutique. L'Andante initial résonne avec une belle économie sentimentale, au service d'une conception allante, puisant aux sources étymologiques de la dénomination du mouvement, tandis que le cor teinte les motifs mélodiques d'une mélancolie palpable dans la section centrale, et effleuré avec tact par Antoine Dreyfuss. On retrouve cette retenue dans le balancement affectif du Scherzo (Allegro), comme dans l'inspiration encore plus intérieure de l'Adagio mesto, avant la vitalité du finale, Allegro con brio.

GC