Chroniques

par richard letawe

Bruch, Emmanuel et Milhaud
autour de Ronald Van Spaendonck

Festival Juventus / Théâtre, Cambrai
- 11 juillet 2007
Maurice Emmanuel (1862-1938), un compositeur encore trop mal connu
© dr

Encore un concert au programme original ! Le Festival Juventus propose une belle série de raretés, organisée autour de la présence du clarinettiste belge Ronald Van Spaendonck. Elle commence par quatre extraits des Huit pièces pour clarinette, alto et piano Op.83 de Max Bruch, la partie d’alto étant ici jouée par le violoncelle. Dans ces pages injustement négligées, le compositeur rhénan utilisa de façon très sûre les possibilités sonores de la combinaison instrumentale, créant des climats intimistes et chaleureux, équilibrés et pleines d'émotion. Le plus souvent, l'essentiel de l'expressivité est confié au violoncelle, avec de belles et longues tirades. Ces tourments sont apaisés par les lumineuses interventions de la clarinette, alors que, plus effacé, le piano ponctue et soutient ses partenaires. On en retiendra plus particulièrement la première pièce, Andante sobre et profond, et la troisième, Andante con moto en ut mineur qui débute par une longue introduction pathétique. Vient ensuite un épisode doux et pénétrant mené par la clarinette. Ronald Van Spaendonck est accompagné par la violoncelliste Françoise Groben et le pianiste Peter Laul.

Ils sont ensuite remplacés par Graf Mourja et Alexandre Tharaud pour la Suite pour clarinette, violon et piano Op.157b de Darius Milhaud. Colorée et pétillante, pleine de fantaisie, cette œuvre conçue en 1936 pour Le voyageur sans bagages de Jean Anouilh est parfaitement défendue par des interprètes qui en exaltent les parfums et les rythmes provençaux. On enchaîne ensuite avec la version pour clarinette et piano de Scaramouche Op.165 du même Milhaud, elle aussi destinée au théâtre, s’agissant d’un intermède au Médecin volant de Molière (1937). Pimpante et volubile, la clarinette de Van Spaendonck se marie à merveille avec le piano vif et délié de Tharaud.

Musicologue et professeur, Maurice Emmanuel [photo] est un compositeur qui n'a jamais été reconnu à sa juste valeur, ni de son vivant ni après. Il laisse pourtant un catalogue de qualité, dont nous apprécions la Sonate pour flûte, clarinette et piano Op.11. Radieuse et bucolique, cette pièce de 1907 arbore une facture classique, des sonorités douces et fraîches ainsi qu’une l'harmonie subtile. Le premier mouvement évoque une promenade qu'on effectuerait d'un pas vif au grand matin, le deuxième un Adagio recueilli au climat nocturne, usant d'une remarquable économie de moyens, et le finale (Molto allegro e leggierissimo) est enjoué, simple et délicat. Cette œuvre à la combinaison instrumentale inhabituelle est bien défendue par les musiciens qui néanmoins ont quelques problèmes d'équilibre sonore, la flûte d'Alexandra Grot alliée au piano de Peter Laul ayant tendance à masquer la clarinette.

Le dernier changement de pianiste de la soirée coïncide avec la seule partie solo du programme. Alexandre Tharaud magnifie de son toucher léger et de sa fine sonorité quelques-unes des rêveuses autant qu’amères Saudades do Brasil Op.67 de Milhaud qu'il enregistra au début de carrière (Naxos).

La dernière partie de la soirée fait entendre, avec Tharaud, Groben et Van Spaendonck, trois lauréats de la toute première édition de Juventus qui, en 1991, se tenait à Arc-et-Senans. Depuis lors, ces musiciens n'ont pas raté une seule session du festival et font partie de ses piliers. Ils terminent avec la suite et fin des ravissantes pièces de l'Opus 83 de Bruch, qui sont certainement, avec la Sonate d'Emmanuel, une des découvertes les plus enthousiasmantes de l’édition 2007.

RL