Chroniques

par irma foletti

Bruno de Sá en récital
Dorothee Oberlinger, Ensemble 1700, Christian Voss

Festival d’Ambronay / Abbatiale
- 23 septembre 2023
Le sopraniste brésilien Bruno de Sá de produit au Festival d'Ambronay 2023
© bertrand pichène

L’après-midi de ce samedi était riche en spectacles. Elle démarrait à 14h30 dans l’abbatiale par la Messe à cinq voix de William Byrd, chantée a cappella par les voix des Arts Florissants dont le ténor Paul Agnew assurait la direction. Puis à 17h, dans la salle polyvalente, les artistes de la Cie Girouette ont su nous enchanter avec leur musique et dessins en temps réel dans Perséphone ou le premier hiver, magnifique spectacle pour enfants et adultes où ils ont mis en scène ce conte mythologique dont l’intérêt et la poésie se sont maintenus au plus haut pendant toute la durée.

En soirée, de retour à l’abbatiale.
Le sopraniste brésilien Bruno de Sá se produit en concert. Il est accompagné par l’Ensemble 1700, une formation fondée en 2002 à Cologne par Dorothee Oberlinger, cette dernière étant sollicitée ce soir à la flûte à bec dans de nombreuses pages du programme. L’affiche alterne, en effet, entre passages instrumentaux et vocaux et la flûte à bec y est l’instrument-roi, au point d’avoir le sentiment que le concert fut conçu en priorité pour cet instrument – plus précisément : pour les quatre ou cinq différentes flûtes que la musicienne joue au cours de la soirée, ceci en prenant le rôle d’acteur principal, au détriment du soliste vocal. Composé de sept autres instrumentistes, l’Ensemble 1700 développe par ailleurs un très joli son, bien équilibré et dirigé assez discrètement mais très efficacement par Christian Voss, son premier violon, la flûte intervenant comme soliste au centre.

La majorité des séquences instrumentales ont donc été arrangées pour la flûte à bec, comme le Concerto pour orgue en fa majeur HWV 293 en quatre mouvements d’Händel, le Concerto pour hautbois en ré mineur (trois mouvements) d’Alessandro Marcello ou encore, en seconde partie, la Sonate pour violon, cordes et basse continue de Corelli, « adaptée pour flûte à bec », en quatre mouvements de dix minutes. Si l’on apprécie à sa valeur la haute maîtrise de ses instruments par Dorothee Oberlinger, qui s’exprime par une longue tenue de souffle sur les moments élégiaques et un abattage certain au cours des traits plus rapides, tout est question d’équilibre et les amateurs de chant venus pour Bruno de Sá peuvent ressentir quelques frustrations.

Dès son premier air, Partir vorrei, ma sento de Bononcini, le sopraniste dévoile les capacités hors normes de son instrument, en termes de musicalité, de puissance et d’excursion d’un registre aigu stratosphérique [lire nos chroniques d’Alessandro nell’ Indie, Stabat Mater et Roméo et Juliette]. Più non m’alletta e piace de Scarlatti sollicite ensuite sa souplesse dans les vocalises, air introduit par des chants d’oiseau évoqués par les deux flûtes à bec et l’appeau soufflé par le contrebassiste. Cet air où « le beau rossignol [...] chante avec douceur… » est l’occasion de courtes joutes entre chanteur et flûtiste, tant pour l’agilité que pour l’atteinte des notes les plus aigües. Ombra mai fu, extrait du Xerse de Bononcini, est un moment d’exception – version d’ailleurs très proche de celle, plus connue, d’Händel – où le chanteur fait merveille en conduisant une ligne d’un raffinement extrême. On entend tout de même une petite note rebelle atteinte en deuxième tentative, très léger grippage qui se reproduira une nouvelle fois après l’entracte.

La deuxième partie est consacrée exclusivement à Händel pour sa partie chantée, d’abord Qui l’augel da pianta in pianta, extrait d’Aci, Galatea e Polifemo, séquence particulièrement aérienne qui comprend de nombreux da capo aux plusieurs variations bien inspirées pour leur musicalité. Cette même ligne angélique prévaudra au cours de l’air Tu del ciel ministro eletto, tiré de l’oratorio Il Trionfo del tempo e del disinganno, un moment suspendu où les notes planent dans l’abbatiale, dans un silence absolu de l’auditoire. Händel revient pour les trois bis offerts : d’abord un air extrait de Riccardo Primo où dialoguent à nouveau voix et flûte à bec, ensuite l’air d’Aci, Verso già l’alma col sangue, une déploration qui ferait pleurer les pierres sur un doux accompagnement des deux violons, alto et violoncelle. La reprise d’Ombra mai fu de Bononcini clôt le concert, le sopraniste s’asseyant à nouveau sur le bord du podium, comme à l’ombre de son arbre adoré.

IF