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Chroniques
Cabaret Brecht 1935
spectacle de Cathy Bernecker
Pourquoi une dizaine de soirées avec un des plus grands auteurs allemands du XXe siècle, en cette fin septembre, à La Choucrouterie de Strasbourg ? Sans doute parce « Monsieur Brecht » a essayé de rester libre dans une époque de troubles – comme l'Histoire en a eu et en aura encore –, parce qu'en tant qu'artiste, il n'a cessé de nous maintenir éveillé, analysant avec didactisme, poésie et ironie les causes et les conséquences de toute oppression politique, dénonçant ses ruses et ses pièges. Et pourquoi la date de 1935 – n'arrête pas de se demander une des comédiennes –est-elle si importante dans cette histoire ? Cabaret Brecht 1935 répond bien sûr à cette question.
Le spectacle est conçu sous forme d'un interrogatoire : une jeune femme vêtue de noir, bottes et short en cuir, malmène une femme d'âge mûr, habillée d'une robe rouge, avec lunettes et cheveux courts. Les injonctions à parler pousse l'institutrice à revenir sur sa propre vie, pour défendre sa mère embrigadée à treize ans et expliquer la gêne qu'elle a eue à donner à son fils un prénom allemand, après toutes ses années de culpabilité collective. Elle évoque rapidement aussi sa génération, qui a voulu faire la révolution en faisant l'amour. 1935, donc, c'est « le chaos rendu officiel » ; soit l'arrivée de la croix gammée sur le drapeau national, le bouleversement du code pénal, la chasse aux commerçants juifs et aux francs-maçons, le premier sous-marin militaire depuis les accords de désarmement de Versailles. C'est surtout la première dénonciation des camps de concentration, et les demandes d'aide internationales de la résistance allemandes restées lettre morte.
Chansons connues (L'Opéra de Quat'sous, 1928) et moins connues (Happy End, 1929) de Brecht servent de respiration à cet univers quasi carcéral. On trouve les chansons sur la guerre (Le Grand Lustucru, Der Kanonensong / La Chanson du canon, Das Lied vom Weib des Nazisol-daten / Ballade de la femme du soldat nazi, etc.), celles sur la morale (Die Ballade vom angenehmen Leben / La ballade de la vie agréable, Das Lied von der harten Nuss / La chanson du casse-tête, etc.), mais aussi celles sur la sexualité – d'une part, parce que les prostituées sont des opprimées de choix pour l'auteur ; d'autre part, parce que la science elle-même a décrété qui était la race supérieure. Les musiques sont de Kurt Weill, Hanns Eisler, Paul Dessau mais on notera aussi un clin d'œil à l'art dégénéré et à cet anti-Boches notoire qu'était Debussy lorsque Le petit Nègre vient accompagner un poème de 1937 – General Dein Tank / Général, ton char...
Susanne Mayer, née après guerre, et Jennifer Macquart évoluent durant une heure quinze dans la mise en scène de Cathy Bernecker – intelligemment vivante pour une scène aussi réduite. La première, plutôt mal à l'aise, voire victime du tracdans les parties jouées, se rattrape avec le chant. Si l'étendue de la tessiture est limitée (aigus tendus sur l'extrait de Mahagonny), sa voix sensuellement grave, au timbre voilé, se double d'une prononciation très articulée de sa langue maternelle. Du coup, les mots sont mis en avant comme jamais. Sans rage ni sadisme inutile dans Seeräuber Jenny / La fiancée du pirate, avec la grâce d'une jeune fille dans Chanson du oui et du non, sa théâtralisation discrète est efficace et émouvante. La seconde artiste, outre une voix de théâtre bien placée, chante parfois avec nonchalance, mais tient surtout la partie piano avec talent. Le jeu est souple, nuancé, mais sait devenir inflexible en martelant le rêve de vengeance de Jenny.
LB