Chroniques

par monique parmentier

Cadmus et Hermione
tragédie lyrique de Jean-Baptiste Lully

Opéra de Rouen Haute-Normandie
- 17 décembre 2010
Vincent Dumestre et Benjamin Lazar rejouent Cadmus et Hermione à Rouen
© elisabeth carecchio

En janvier 2008, Vincent Dumestre faisait redécouvrir la première tragédie lyrique de Jean-Baptiste Lully, Cadmus et Hermione. Depuis les premières représentations d’Atys en 1987,qui avaient permis le renouveau de la musique baroque, seules les œuvres de la maturité du Florentin intéressaient musiciens et producteurs. Entourés d’une troupe jeune et enthousiaste, Vincent Dumestre et Benjamin Lazar à la mise en scène ont dévoilé combien ce premier essai était bien plus qu’un simple brouillon. Musique de l’éternelle jeunesse, sa poésie est un songe enchanteur dont on ne peut plus se séparer dès qu’on l’entend.

Beaucoup étaient nombreux à n’avoir pu voir Cadmus et Hermione, qui avait fait salle comble, alors [lire notre chronique du 8 janvier 2008]. Grâce aux bons soins de l’Opéra Comique à Paris et de celui de Rouen, cela est désormais en partie réparé. Car il ne fallait manquer en aucun cas cette reprise tant il est peu probable, et c’est bien dommage, qu’il puisse y en avoir d’autres. Cette production fastueuse et unique aura revu le jour le temps d’une petite dizaine de représentations, réparties entre les deux scènes. Ce soir, alors que l’hiver précoce et glacial, de jeunes Normands ont pu profiter de la paralysie des routes pour enrichir leur mémoire d’un souvenir au goût d’éternité, celui d’une rencontre unique avec l’Harmonie.

Non seulement ce spectacle n’a pas pris une ride, mais il s’est enrichi. La mise en scène à l’élégance onirique de Benjamin Lazar, la scénographie féérique d’Adeline Caron, les costumes aux détails tous plus splendides les uns que les autres d’Alain Blanchot, les décors précieux de toiles peintes d’Antoine Fontaine, les maquillages lunaires de Mathilde Benmoussa, nous révèlent d’autres merveilles. Jamais les mouvements de la gestuelle baroque ont semblés autant en communion avec la chorégraphie raffinée de Gudrun Skamletz. Grâce au français restitué, la mélodie de la langue nous emporte en un conte où la réalité triste et sinistre du quotidien s’efface pour laisser la place au théâtre des rêves.

La distribution est d’une homogénéité qui donne à chaque rôle (aucun n’est anodin) valeur de perle précieuse. Ne pas tous les citer relève d’un crève-cœur. En tout premier lieu, soulignons la prise de rôle de Marc Mauillon. Il remplace André Morsch dans le rôle de Cadmus. Si ce dernier assurait à Paris ce rôle qu’il avait créé trois ans auparavant, son indisponibilité a permis au jeune baryton français d’offrir une autre facette du Prince tyrien, durant les représentations normandes. Valeureux et solaire, sa sensibilité rayonne comme une ode à l’amour pur. Claire Lefilliâtre est Hermione : cette harmonie universelle qui resplendit en nos cœurs à condition de la laisser éclore. Son timbre unique, ses couleurs si ambrées et mélancoliques permettent à la princesse de révéler ce secret octroyé par son auguste naissance (fille de Vénus et de Mars) et que l’amour libère. Isabelle Druet est une Charite (et Mélisse) insolente et piquante, Arnaud Marzorati, très en voix dans son double rôle de Pan et d’Arbas (serviteur fidèle mais couard), nous enchante par son interprétation endiablée et virevoltante. Camille Poul est l’Amour sortilège dont l’envoutement est une joie infinie, Eugénie Warnier une Pallas combative, David Ghilardi au timbre radieux campe un Soleil flamboyant, Eugénie Lefebvre l’Hymen, en rend les nœuds si tendres, Jean-François Lombard est une nourrice vive et drôle mais au combien touchante, Arnaud Richard incarne un Mars (et Draco) tonnant et terrifiant et Geoffroy Buffière un Grand Sacrificateur théâtral. Tous, oui tous, y compris les chœurs resplendissent d’une beauté juvénile.

Le Poème Harmonique, sous la direction enflammée de Dumestre, laisse s’épanouir toute la sensualité de la musique de Lully. Tout en rondeur et en or, véritables soieries et brocards rares, ces nuances resplendissent non pour chanter la splendeur d’un roi, mais celle des jours heureux. Chaque ritournelle devient inoubliable. Dans la Chaconne des Africains, la douceur du chant des pagnes se joint à la virtuosité des musiciens pour nous ensorceler à tout jamais.

Si la pierre philosophale existe, Vincent Dumestre, Benjamin Lazar et tous ceux qui les ont accompagnés dans l’aventure de Cadmus et Hermione l’ont découverte et partagée avec le public pour son grand bonheur. Le DVD paru chez Alpha en 2008 [lire notre critique] permettra à cette production de palpiter encore longtemps dans les mémoires.

MP