Chroniques

par francine lajournade-bosc

Cadmus et Hermione
tragédie lyrique de Jean-Baptiste Lully

Opéra Comique, Paris
- 21 janvier 2008
Cadmus et Hermione, tragédie lyrique de Jean-Baptiste Lully à Paris
© elisabeth carecchio

Il n’était pas plus question pour Cadmus et Hermione que pour Le Bourgeois Gentilhomme, monté voici quelques années par la même équipe, de prétendre à une reconstitution historique à l’illusoire fidélité. La bourse de Paris a accusé une chute de 6,83%, ce jour-là, et nous nous découvrons chaque jour de nouveaux amis virtuels sur Facebook. Une chose est sûre : nous ne vivons pas au XVIIe siècle. Et nous n’écoutons ni ne regardons le monde comme on le faisait sous le règne de Louis XIV. Vincent Dumestre a compris cela il y a longtemps déjà et opte plus justement dans son travail pour une interprétation fidèle et ultra-documentée de l’ouvrage de Lully et Quinault. Dumestre travaille à la manière d’un restaurateur d’art qui, par petites touches, révélerait la splendeur d’un tableau, suggérerait, donnerait du sens en évitant toute surinterprétation et sans recourir à la copie.

L’argument de Cadmus et Hermione pourrait se résumer ainsi : Cadmus, prince égyptien parti en Grèce à la recherche de sa sœur Europe, tombe raide dingue amoureux de la belle Hermione, celle-ci n’étant pas, malgré quelques coquettes résistances, indifférente aux charmes du valeureux prince. Tout serait simple si Hermione, Fille de Mars et de Vénus – excusez du pedigree – n’était dotée d’une famille aussi divine qu’envahissante, celle-ci entendant bien éprouver l’amour de Cadmus avant de laisser les deux fidèles amants vivre leur romance en paix. En cinq actes, Cadmus affronte un dragon, se voit confronté à une armée de soldats sortis de terre et doit essuyer les foudres de la peu commode Junon avant que l’amour ne triomphe. Pour ce livret, Quinault s’est inspiré des Métamorphoses d’Ovide. Lully, quant à lui, est inspiré tout court.

Et c’est cette musique toute de délicatesse, d’élégance et de justesse, que sert ici un Poème Harmonique qui n’a jamais aussi bien porté son nom. En dix petites années et bien plus de projets ambitieux, Vincent Dumestre a su donner à son orchestre une pâte et une unité musicale incomparables. L’équilibre des masses sonores, la subtilité des nuances et la beauté du timbre, en un mot l’intelligence du propos, tout y est, qualité des musiciens et rigueur de la direction comprises. Aux merveilles de la fosse d’orchestre répondent tout naturellement celles de la scène. « Tout naturellement » car ce Cadmus et Hermione est le fruit d’une collaboration longue et fructueuse entre le Poème Harmonique, ses musiciens, chanteurs et danseurs d’une part, et le metteur en scène Benjamin Lazar d’autre part. La gestuelle et les récitatifs, qui doivent beaucoup à l’enseignement d’Eugène Green, grand maître de la déclamation baroque, ne sont jamais trop appuyés, jamais ampoulés, toujours à propos. Quelques images resteront ainsi longtemps gravées sur nos rétines. Que d’élégance dans ce combat de Cadmus contre le dragon. Quelle subtilité dans cette main que le premier des princes ramène sur son cœur à ces mots déclamés : « Le dieu que vostre cœur consulte davantage est peut-être l’Amour ».

Tout naturellement encore, on retrouve Claire Lefilliâtre, compagne de route de longue date du Poème Harmonique, qui campe une Hermione majestueuse, quand André Morsch, Cadmus inspiré, est évident dans le rôle. Difficile de parler de rôles secondaires dans cette tragédie lyrique où chacun est très sollicité. De cette distribution homogène, on retiendra pourtant Eugénie Warnier en Pallas bienveillante, Arnaud Marzorati en hilarant Arbas ou Élodie Fonnard, Hymen piquant et plein de fraîcheur. L’équilibre de cette distribution, dans laquelle aucun rôle ne semble avoir été négligé, autorise quelques duos et trios d’anthologie, tandis que les chœurs, sublimes, ponctuent l’ouvrage avec grâce.

On ne saurait parler de cette production sans souligner la somptuosité des costumes où, là encore, le travail historique s’accommode à merveille d’une créativité maîtrisée. Le Ballet des Africains (Acte I), où le frou-frou des jupes frangées de raphia coloré apporte astucieusement un relief sonore à la danse, symboliserait à lui seul ce beau travail. Notons encore les costumes noirs et argent des soldats sortis de terre qui ajoutent au caractère fantastique de la scène, façon retour des morts vivants. On y verrait presque, mauvais goût en moins, un clin d’œil à un clip de Michael Jackson téléporté à la cour de Louis XIV.

De ce Cadmus et Hermione,l’œil sortira donc pétillant, les oreilles encore longtemps charmées des sonorités sublimes de l’orchestre, avec la conviction profonde que, en faisant du baroque qui ne se contente pas d’une reconstitution de pacotille mais s’appuie sur un vrai travail d’historien, Benjamin Lazar et Vincent Dumestre ont réussi le tour de force de nous offrir le spectacle le plus intelligent et le plus moderne que nous n’ayons vu depuis longtemps. En marge des représentations, il faut signaler le remarquable travail éditorial réalisé sur le programme par le Centre de Musique Baroque de Versailles et l’Opéra comique. Très documenté, illustré d’une riche iconographie et d’exemples musicaux, ce volume constitue une véritable analyse de l’ouvrage, venant très pertinemment prolonger la soirée.

FLB