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Chroniques
Capriccio
opéra de Richard Strauss
Dimanche dernier avait lieu au Prinzregententheater de Munich, dans le cadre du Münchner Opernfestspiele, la première de la reprise de Capriccio dans la mise en scène de Dávid Márton créée à l’Opéra national de Lyon, au printemps 2013. Une fois n’est pas coutume, la Bayerische Staatsoper affiche donc une production venue d’ailleurs, en l’occurrence de la maison que l’actuel intendant de l’institution bavaroise a dirigé jusqu’en 2020. Avec Die schweigsame Frau hier et Der Rosenkavalier demain, l’avant-dernier week-end du festival a donc été voulu straussien et dans la veine plutôt légère du compositeur. Encore dérogeons-nous à la règle du média de ne pas éditer de seconde chronique d’un même spectacle, car si nous avons tout de même décidé de ne pas réitérer La femme silencieuse, s’agissant du même autour à signer le feuilleton 2022 [lire notre chronique du 30 juillet 2010], nous commenterons la présente soirée et celle de demain dont la teneur avait fait l’objet d’un article en temps de Covid dur [lire notre chronique du 21 mars 2021].
Ces réjouissances n’ont guère bien commencé, puisqu’hier, un peu avant la fin de la première partie, Stefan Soltész fut victime d’un malaise alors qu’il dirigeait, dans la fosse du Nationaltheater. Maître des lieux depuis cette saison 2021/22, Serge Dorny rend hommage au chef d’orchestre autrichien d’origine hongroise qui, malheureusement, ne revint jamais à lui. Ayant privilégié un festival presque voisin [lire nos chroniques de Siberia et de Madama Butterfly], nous avons eu la chance de ne pas assister au drame, à l’inverse de collègues rencontrés ce soir qui paraissent encore sous le choc. Après un rappel ému de son parcours, Dorny nous invite à applaudir le musicien disparu [lire nos chroniques d’Elektra à Budapest et à Genève] auquel il dédie cette représentation.
Il n’est pas si fréquent de voir la conversation en musique (Konversationsstück für Musik) imaginée par Richard Strauss en 1942 avec la complicité de Clemens Krauss en tant que librettiste, le chef créant l’ouvrage à Munich le 28 octobre 1942, en plein conflit mondial. Après la réussite de la mise en scène de Robert Carsen au Palais Garnier [lire notre chronique du 8 septembre 2012] et celle, plus passionnante encore, que signait Brigitte Fassbaender à l’Opéra de Francfort [lire notre chronique du 1er février 2018], la proposition de l’artiste hongrois se caractérise par une lourdeur certaine, assez contradictoire avec la vivacité de l’incessant bavardage qui fait l’œuvre. Lorsque s’ouvre le rideau, on découvre un théâtre en coupe, pour ainsi dire, profil qui, de gauche à droite, montre scène, fosse et salle. Dans le décor unique de Christian Friedländer, l’action parvient difficilement à trouver sa place, les effets spéculaires de la mise en abîme et les allusions au temps trouble de l’occupation allemande en France, via les costumes de Pola Kardum notamment, semblant plus anecdotiques qu’intrinsèquement intriqués à l’option globale. Le commentaire de notre collègue demeure donc d’actualité [lire notre chronique du 7 mai 2013].
Remarquables, comme à leur habitude, les instrumentistes du Bayerisches Staatsorchester brillent dans les ensembles chambristes, d’une élégance si soignée qu’elle confère à la grâce. Cependant, maestro Leo Hussain n’a de mérite que de ne pas entraver l’équilibre entre le plateau et la fosse, ce qui, déjà, est estimable. Aussi nous concentrons-nous principalement sur les voix.
Pour chance, une distribution de rêve est au rendez-vous !
Outre une domesticité bien chantante – Christian Wilms, Dimitrios Karolidis, Paul Kmetsch, Leonhard Geiger, Hans Porten, Robin Neck, Leopold Bier et Gabriel Klitzing – et les danseuses aux trois âges de la vie – Anna Henseler, Zuzana Zahradnikova et Ute Vermehr –, on y applaudit le baryton Christian Oldenburg en Haushofmeister [lire notre chronique de Ti vedo, ti sento, mi perdo], le ténor Toby Spence en Monsieur Taupe, le soprano Deanna Breiwick en Italienische Sängerin et, surtout, l’excellent Galeano Salas, décidément talentueux, en Italienischer Tenor éclatant [lire nos chroniques de Semiramide, Der Diktator, Turandot et Otello]. Les rôles principaux sont parfaitement tenus par Vito Priante, Olivier fermement timbré et d’une présence robuste, par Michael Nagy en Graf vocalement très autoritaire, enfin par le lumineux Pavol Breslik, vaillant Flamand. Le luxe de ce casting ne s’arrête pas là, deux dames brillant ici par des prestations splendides. Ainsi de la Clairon infiniment musicale de Tanja Ariane Baumgartner, au format invasif et à l’intelligence scénique indéniable ; ainsi, encore, de Diana Damrau qui campe une Gräfin agile, espiègle, un peu folette même, de cette couleur vocale inimitable. À soixante-et-onze ans, la basse islandaise Kristinn Sigmundsson compose un La Roche extraordinaire, en grand homme de théâtre.
BB