Chroniques

par gilles charlassier

Carlos Chávez, George Gershwin et Alberto Ginastera
Francesco Tristano Schlimé, Orchestre national de Lille, Domingo Hindoyan

Le Nouveau Siècle, Lille
- 6 avril 2016
à Lille, Francesco Tristano Schlimé joue le Concerto en fa de George Gershwin
© aymeric giraudel

L'Orchestre national de Lille ne se contente pas des traditions figées, tant en termes de programmation, de lieux, que de formules. En témoigne la venue de Francesco Tristano Schlimé pour un concert jouant des interactions entre les deux Amériques : non content de donner deux soirées, le soliste se déplace à Dunkerque le vendredi 8 avril, après un concert flash de trois quarts d'heure à midi où il révèle une autre facette de son talent, mettant en regard le piano avec l'électroacoustique.

Revenons au contenu de ce rendez-vous du mercredi soir, dans le remarquable Nouveau Siècle, rénové ces dernières années. Placée pour la première fois sous la direction de Domingo Hindoyan, jeune chef issu d’El Sistema, la phalange lilloise fait retentir le folklore coloré de la suite de danses Estancia Op.8a d’Alberto Ginastera, tirée de son ballet éponyme (1941) – 2016 célèbre d’ailleurs le centenaire du compositeur argentin [lire notre critique du CD]. Dans les premières mesures de Los trabajadores agrícolas, l'impulsivité latine de la baguette vénézuélienne semble un peu bousculer les pupitres, avant de trouver rapidement un tempo de croisière où peuvent, à l'occasion, s'épanouir des tonalités champêtres aux teintes délicatement nostalgiques. Le Malambo final rappellera aisément que l'efficacité, nullement raidie, ne s'alanguit pas dans d'inutiles ressacs sentimentaux.

À l'affiche du Concerto pour piano en fa majeur de George Gershwin (1925), Francesco Tristano Schlimé fait jaillir dès l'Allegro initial la profusion rythmique de la partition. Nouant avec le partenaire orchestral une réactivité dynamique, le musicien italien explore l'inventivité du compositeur étasunien, qui sait puiser aux sources du jazz, sans oublier de mettre en avant une construction et une harmonie parfois denses. On sait Ravel grand défenseur de l'ouvrage : rêveur et nocturne, l’Andante con moto l'explicite aisément, avec une fluidité mélodique éminemment pianistique dont l'inspiration n'est ici jamais galvaudée. La fougue du final (Allegro agitato) ne dément aucunement la maîtrise du clavier, sans effets de manche. En bis, un brefTango de Stravinski confirme la sensibilité originale du pianiste.

En seconde partie de soirée, la Sinfonia Indía de Carlos Chávez (1936) emmène l'auditeur dans un voyage au cœur des traditions musicales d'avant la Conquista. En un seul mouvement, et sur des thèmes idiomatiques, le morceau résonne de saveurs originelles, transcrites pour un effectif occidental, selon les indications du compositeur lui-même. La direction de Domingo Hindoyan s'attache à ces couleurs locales, sans renoncer à l'énergie contagieuse qui innerve l'ensemble jusqu'au crescendo conclusif. On pourra certes admettre une relative prudence que d'aucuns diront aseptisée, pour ne pas mettre en danger la cohérence. Ce reproche ne saurait cependant être réitéré pour le poème symphonique An American in Paris de Gershwin (1928) qui laisse éclater la précision enthousiaste des musiciens lillois.

GC