Chroniques

par françois cavaillès

Carmen
opéra de Georges Bizet

Théâtre du Capitole, Toulouse
- 6 avril 2018
Au Capitole de Toulouse, Andrea Molino joue Carmen (1875), l'opéra de Bizet
© patrice nin

C'est peut-être au coin de chez Lillas Pastia, au détour du fabuleux premier acte du fameux chef-d’œuvre de Bizet, que tout se passe. La nouvelle production du Théâtre du Capitole le laisse croire, avec la mise en scène plutôt réaliste du Monégasque Jean-Louis Grinda, à la fois attachée à l'implacable réussite du livret et ouvertement inspirée par le cinéma (ainsi à l'Ouverture, avec un intéressant effet visuel de générique en rétro-vision), et en particulier par le film Carmen de Francesco Rosi (1984) pour les costumes classiques de Rudy Sabounghi et Françoise Raybaud Pace, presque d'opérette mais fort parlants dans le sens de l'intrigue, ou les tons ambrés et ses superbes clairs obscurs de Laurent Castaingt.

« Tu feras tout ce que je veux,
Et cela parce que tu m'aimes ! »

Le dialogue n'est jamais aussi redoutablement simple que lorsqu'il contient toute la vérité du drame, rarement aussi bien joué qu'en ce soir de première où les personnages principaux viennent à s’affirmer tout à fait – rendons donc tout de suite grâce à leurs interprètes expérimentés, Clémentine Margaine et Charles Castronovo, chacun bien à la hauteur de son rôle.

« Tu sais, la fleur de la sorcière,
Tu peux la jeter maintenant,
Le charme opère ! »

Avant son premier chant pour José, en attribuant l'amour tout-puissant à un artifice laid et vicieux, Carmen dit finalement combien elle déteste son corps et tous les besoins mondains qui s'y rattachent. Dans la séguedille suivante, air si juste et si pertinent qu'il accréditerait complètement le compliment de Nietzsche faisant de Bizet celui « qui a découvert une terre nouvelle : le midi de la musique », Carmen dit aussi, avec les moyens lyriques idéaux de Clémentine Margaine, incluant la belle pointe d'excitation comique, les manques, la grande curiosité, la soif de connaître profondément la vie et la liberté – « Qui veut mon âme? Elle est à prendre », quand, dans la nouvelle originale, Mérimée lui prêtait le proverbe espagnol mañana será otro día (Demain est un autre jour). Sur les traces de la Bohémienne en fuite, l'Orchestre national du Capitole de Toulouse, sous la direction d'Andrea Molino, libère enfin sa puissance et Don José son désir fou, dans l'urgence et en tombant accidentellement nez à nez avec Micaëla...

En contournant un large étau de bois mobile qui enserre la scène afin de représenter, par exemple et surtout, l'arène du dernier acte, les ensembles semblent bien nerveux, tels qu'incarnés avec énergie et justesse par le Chœur et la Maîtrise maison, à circuler d'abord au-dessus de l'héroïne qu'on découvre en premier lieu gisant au sol, pour entamer, par conséquent allongée à terre, la habanera grave et animale. Tranchant avec l'amusement vulgaire, mais fort charmant chez les vivifiantes Frasquita et Mercédès, aux traits gais et enjôleurs des soprani Charlotte Despaux et Marion Lebègue, comme avec le dédain pugnace – le chaleureux et élégant Moralès du baryton Anas Seguin et, surtout, l'Escamillo assez démonstratif et imposant de la basse Dimitry Ivashchenko, guindé en toréador gigantesque – il revient au beau chant de Charles Castronovo d'exprimer heureusement l'emportement et l'espoir de Don José (tout particulièrement sensibles dans l'air Ma mère, je la revois).

Comme nombre de récentes devancières, selon l'arc narratif peut-être trop bien connu à partir de l’Acte IV, cette production s'assombrit en sa seconde partie, la tension s'accumule, mais aussi – hélas ! – le mauvais goût dans les baisers et dans les postures. Comme pour s'évader de lourdes intentions suscitant à l'esprit de pauvres images à sans cesse remanier, quelques bouffées d'air frais nous parviennent avec deux jolis soli de danse flamenco (Sélia Vilatte et Cloé David) ainsi que le quintette des intrigants – Olivier Grand en Dancaïre et Luca Lombardo en Remendado. Encore peut-on se porter si bien au sortir d'une soirée fort applaudie dans l'ensemble, avec même la sensation d'être un temps libéré des conventions de l'opéra, pour avoir écouté Anaïs Constans, soprano magnétique et gracieux en Micaëla. Pour un tel Je dis que rien ne m'épouvante de rêve éveillé, si inspirant (comme un air de promesse confiante, à la simple originalité parce que sans fougue ni prière), et pour toute la tenue du rôle, bravo et merci.

FC