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Chroniques
Carmen
opéra de Georges Bizet
En a-t-on vu, des Carmen où les éléments scéniques et dramatiques étaient ceux d’une espagnolade éculée, mille fois présentée, mille fois ressassée, avec ses personnages devenus des clichés. De la gitane ravageuse au jeune soldat naïf, en passant par le torero macho et par la copine de la ville un peu gourde ! En a-t-on vu, des opulentes divas quadragénaires, jouant à la femme (supposée) libre ou à la couguar goûtant fort l’uniforme bien porté… à jeter au sale dès qu’utilisé. Bref, la convention, l’habitude, le texte daté de MM. Meilhac et Halévy, alourdi des récitatifs ajoutés par Guiraud. Au plus joué des opéras français, tout cela a trop souvent donné une image de carte postale lyrique vaguement vacancière.
Le grand mérite du travail imaginé, conçu et réalisé par Olivier Py est de prendre absolument le contrepied de cette ancestrale et innocente approche, de sortir l’intrigue du cliché « belle Ibère », de donner au texte une facture autrement plus globale, plus sociétale, plus violente, plus imprégnée dans les enfers et les revers de notre monde. Celui des villes et des foules ; des clans et des mafias ; de la drogue et du sexe tarifé ; des escrocs et des réseaux. Avec, évidemment, la provocation habituelle qui habite les spectacle de ce metteur en scène, à grands renforts de corps nus volontiers suggestifs, de seins à l’air, de travestis, de bidasses agressifs et violeurs, pour ne pas parler des gamins belliqueux prêts à en découdre avec les représentants de la force publique… surtout quand ils sont isolés.
Soyons nets : même si le trait est parfois pesant autant qu’envahissant, tout cela fonctionne à merveille, car composé, élaboré, géré de main de maître, en parfaite communion avec les autres composantes scénique. À commencer par le dispositif et les savoureux costumes imaginés par le décorateur Pierre-André Weitz et bien soulignés par les éclairages de Bertrand Killy. Un immense quadrilatère, sorte de music-hall famélique et dévergondé, situé entre un hôtel de passe et un poste de police qui n’est pas loin de l’être. Alternativement face au public, les quatre côtés se disputent les divers épisodes, sur la scène et dans les coulisses du lieu. Dans la bruyante et chaude ambiance du tripot Chez Lillas Pastia ; dans les loges, très occupées, avec retour sur scène lors d’un défilé, obligé par la partition et fort bien enlevé, avant un duo final où le visuel sait se gommer et s’effacer ; avant une dernière bravade parfaitement superfétatoire du genre « Vous avez vu ? J’ose » : frappée à mort et alors que, rendu criminel, José se désole, notre Carmen ressuscite (?), se lève et court à d’autres aventures…
L’autre composante de notre Carmen nationale réside évidemment dans ses qualités musicales et vocales, si belles, si riches, si éclatantes. Pour les premières, on ne peut que saluer la direction bien conduite, attentive, vigoureuse quoi qu’un peu conventionnelle, développée par le chef Stefano Montanari. On peut y ajouter la vigueur des divers pupitres de l’orchestre maison. On salue bien bas, comme d’habitude, la prestation sans faille, vocalement mais aussi dramatiquement, des Chœurs de l’Opéra national de Lyon, mais aussi de la Maîtrise, parfaite d’homogénéité.
Encore aimerait-on en dire autant de la distribution ; ce n’est – hélas ! – pas possible. D’autant plus que le texte est terriblement mal défendu par plusieurs artistes. D’où, peut-être, la raison de cette incroyable initiative : le surtitrage en langue française, dans le pays de Voltaire et Mérimée.
Les rôles dits secondaires sont les mieux servis, comme avec les deux « condisciples » de Carmen, Mercédès et Frasquita, fort bien chantées par Angélique Noldus et par Elena Galiskaïa. Ou encore les deux « travelos-contrebandiers », le Dancaire et le Remendado, lesquels bénéficient de la musicalité développée par Christophe Gay et par Carl Ghazarossian. Pour le reste… Passons sur l’émission inégale et les aigus fatigués de Vincent Pavesi (Zuniga) et de Pierre Doyen (Moralès), pour arriver au cœur même du problème : José-Maria Lo Monaco n’a absolument pas la voix pour chanter le rôle écrasant de Carmen, à mi-chemin entre le soprano dramatique et le mezzo-soprano. Les passages de registres sont heurtés, le phrasé est aléatoire, les notes tenues ne le sont pas, etc. De même le ténor Yonghoon Lee, Don José certes touchant dont le ramage n’égale cependant pas le plumage ; l’émission manque de puissance dans l’aigu, de corps dans la mezza voce, etc. L’Escamillo de Giogio Caoduro manque de phrasé, de solidité, de fluidité. Quant à la Michaëla de Nathalie Manfrino, naïve à souhait, elle n’attire vraiment pas l’émotion avec son chant engorgé et son indiscret vibrato. Il est navrant que cette distribution hétérogène et mal choisie, ne soit pas au niveau d’un travail scénique aussi intéressant.
GC