Chroniques

par laurent bergnach

carte blanche Magnus Lindberg
Orchestre Philharmonique de Radio France

György Ligeti, Magnus Lindberg, Manuel de Falla
Auditorium / Maison de Radio France, Paris
- 21 mai 2016
le compositeur finlandais Magnus Lindberg, invité de la Maison de la radio
© stefan bremer

Jeune homme fasciné par de nombreux talents (Stockhausen, Zimmermann, Babbitt, Hiller, etc.), Magnus Lindberg (né en 1958) comprend auprès d’Einojuhani Rautavaara et Paavo Heininen, ses premiers professeurs de composition, la nécessité d’écouter ses voix intérieures et celle de posséder une solide technique. Un regard sur cinquante années de production artistique lui fait dire : « j’aime que la musique possède une dimension dramatique, une trajectoire, avec de forts contrastes, des changements rapides et des conflits violents. J’aime également associer la densité sonore à une rapidité de mouvement » (propos recueillis par Hélène Cao, le 20 novembre 2015).

Deux œuvres du Finlandais encadrent la carte blanche qu’on lui a proposée, dont la toute récente Aventures (Helsinki, 2013) célébrant le trentenaire de l’orchestre de chambre Avanti! [lire notre chronique du 23 avril 2013]. Avec ses fanfares qui appellent à la fête, la partition se veut ludique, autant qu’un hommage aux illustres aînés. En effet, à la manière d’un Berio convoquant Mahler (Sinfonia, 1968) et jugeant essentiel qu’un apprenti compositeur s’imprègne d’un maximum d’influences, Lindberg livre des citations de Beethoven, Berlioz, Ives, Mendelssohn, Mozart, Prokofiev et Sibelius, avec une franche préférence pour Stravinsky (Petrouchka, 1911 ; Le sacre du printemps, 1913 ; Histoire du soldat, 1918). Entre moments tendus et d’autres plus débonnaires, ces douze minutes tissent habilement originalité et réminiscence.

D’abord obsédé par le contrôle du son, puis par la question du temps et du rythme, Lindberg se préoccupe un jour d’harmonie. En témoigne la trilogie réunissant Kinetics (1989), Joy (1990) et Marea (1990), joué ce soir. Créée à Londres par Esa-Pekka Salonen, cette page achevée sur la côte normande évoque « la répétition monotone des marées […] et la mer qui sans cesse repousse les galets ». La variation est donc au rendez-vous, sur le principe d’une chaconne, mais le musicien entrave la prévisibilité en modifiant mesures, couleurs et textures. Explorant les extrêmes, ces dernières favorisent un magma granuleux (cuivres, timbales, contrebasses) et le tendre scintillement (piano, flûte, etc.). Vingt ans avant Souvenir [lire notre critique du CD], Lindberg n’a pas encore le goût du musical !

Saluant la naissance de Dürer cinq cents ans plus tôt, Melodien (Nuremberg, 1971) fait partie des pièces populaires de György Ligeti (1923-2006) [lire nos chroniques du 24 mai 2003 et du 15 avril 2011, ainsi que notre critique du CD]. « Si vous écoutez la musique pour la première fois, explique son auteur,elle ressemble à un chaos de mélodies qui ne vont pas ensemble. Mais si vous la connaissez mieux, vous pouvez comprendre les relations internes et le squelette harmonique de la forme qui était dissimulé ». Tourbillons cristallins, chutes sinueuses, surfaces miroitantes trouées d’aspérités solistiques sont magnifiées par la direction sage et nette du Finlandais, à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France.

On était aussi venu pour Xenakis.
Hélas, on a déprogrammé Thalleïn (1984), autre familier de tant d’événements contemporains [lire nos chroniques du 18 octobre 2013 et du 2 octobre 2010]. À la place sont proposés des extraits d’El amor brujo, « gitanería » de Manuel de Falla (Madrid, 1915) devenu ballet par-delà les Pyrénées (Paris, 1925). Trompette incisive, hautbois lumineux, cordes claires sont mis en valeur par le chef qui ne force jamais l’exotisme ni l’onctuosité de ces pages d’un autre temps.

LB