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Chroniques
Castor et Pollux
tragédie lyrique de Jean-Philippe Rameau
Il est assez fréquent qu’un ouvrage lyrique relativement rare à la scène soit, dans une même période, l’objet de plusieurs productions, on l’aura observé plus d’une fois au fil du temps. Ainsi de Castor et Pollux qui, après avoir été monté cet automne par Barrie Kosky à Dijon et par Christian Schiaretti au Théâtre des Champs-Élysées [lire notre chronique du 13 octobre 2014], gagne aujourd’hui le Capitole dans une nouvelle lecture. En transposant l’argument dans le hall imposant d’une demeure patriarcale, Mariame Clément s’attelle principalement à en souligner le caractère familial ; par la suggestion d’une confrontation assez simpliste des domaines conscients et inconscients, elle remplace le ballet par une représentation des cousins tour à tour enfants, adolescents, jeunes adultes, et insiste sur la complicité des garçons, la naissance d’une indéfectible amitié, parfois justifiée par opposition à la contrainte parentale.
Vraisemblablement soucieuse de parler à ses contemporains qu’elle présuppose trop peu imaginatifs pour être sensibles à la force poétique de l’œuvre, l’artiste, sans s’interroger sur le rôle du ballet lui-même dans une action dont elle semble croire qu’il vient l’interrompre alors que, d’autre manière, il la pourrait magnifier, passe à la trappe la rhétorique baroque dont cependant la tragédie ne saurait être privée sans dommage. Dans l’écrasant escalier qui peut-être symbolise la responsabilité des adultes sur la destinée de leur progéniture (décor et costumes de Julia Hansen), l’omniprésence de l’enfance confine bientôt l’action dans un bon aloi plutôt mièvre qui finit par ne parler à personne. Quelques idées traversent ce pâle objet – sous les portraits d’ancêtres d’une famille dont les atours ont tout d’une monarchie d’opérette, le XVIIIe siècle surgit dans la vêture des dieux, sans gagner pour autant d’autre impact que celui d’une sorte de clin d’œil au temps de Rameau ; la toilette des morts pratiquée dans une lasse indifférence boutiquière ; etc.
En fosse, nous retrouvons des Talens Lyriques en excellente forme, à la tête desquels Christophe Rousset insuffle à la musique de Rameau une vivacité italienne, séduisante de théâtralité innée. L’orchestre nous en dit assurément plus que la scène – l’amitié, la mort, l’amour, la jalousie et le sacrifice habitent en maîtres chaque passage instrumental. Passée une première intervention rythmiquement instable, le Chœur du Capitole trouve rapidement ses marques.
Dans l’ensemble – comprendre : à l’exception de deux incarnations –, le plateau vocal s’avère probant, concentrant l’art du chant dans une déclamation à l’exemplaire diction. L’autorité naturelle et l’impact précis de Konstantin Wolff sont idéaux en Grand Prêtre. De même Dashon Burton campe-t-il un Jupiter remarquable. D’abord timide, le registre bas d’Aimery Lefèvre trouve au fil du rôle un soutient plus certain, jusqu’à mener un Pollux d’irréprochable tenue. Encore applaudit-on aisément la généreuse Cléone d’Hasnaa Bennani, timbre chaleureux et saine conduite, ainsi que la fort touchante Télaïre d’Hélène Guilmette dont l’éventail expressif se fond adroitement dans le style. Une découverte : l’excellent Sergueï Romanovsky (Athlète, Mercure, Spartiate), ténor infiniment clair et vaillant dont le français ne laisse pas un instant deviner qu’il est russe. L’émission est fulgurante, le phrasé progressivement souple, la nuance dessinée avec grâce. Une voix qu’il faudra suivre attentivement !
BB