Recherche
Chroniques
Cendrillon
opéra de Jules Massenet
Les soirs se suivent et ne se ressemblent pas. Au lendemain d’une Rusalka plutôt ratée [lire notre chronique de la veille], nous voyons une Cendrillon réussie. Présentée en 2018, la mise en scène de Fiona Shaw, que nous n’avions pas vue mais dont on sait qu’elle n’a pas fait l’unanimité, revient au Glyndebourne Festival dans un nouveau réglage confié à Fiona Dunn.
« Reste au foyer, petit grillon,
Car ce n'est pas pour toi que brille
Ce superbe et joyeux rayon...
Ne vas-tu pas porter envie au papillon ?
A quoi penses-tu, pauvre fille ?
Travaille, Cendrillon,
Résigne-toi, Cendrille ! »
Omniprésente, la métaphore de la chrysalide hante le rêve de l’héroïne qui parle aux petites créatures du soir, tandis que ses demi-sœurs vont au bal avec la marâtre. Il est toujours question de rêves, dans cette production qui les suggère et les analyse du côté du divan freudien grâce à un dispositif de miroirs très sophistiqué – Jon Bausor signe le décor. Pour autant, le charme du conte de féé n’est pas brisé, ce qui est plutôt fort. Cendrillon décuplée à différents âges dont chaque incarnation se projette, se souvient ou console, est une idée fascinante qui n’empêche pas la magie, au contraire. Les personnages sont définis sans concession, père faible et soumis à sa femme et aux filles du second lit, elles-mêmes consommatrices stupides et jamais satisfaites, dans les vapeurs de la marmite à névroses. Comme Rusalka, l’ouvrage questionne l’opposition entre désir et réalité, mais ici l’interrogation est tissée en profondeur, au point de construire tout le spectacle, selon l’audace d’un vrai projet artistique. Tout ne nous plaît pas, c’est certain, mais peu importe : l’interprétation se tient et traite le sujet sans le dénaturer.
Au pupitre du London Philharmonic Orchestra, John Wilson accomplit une prouesse en sachant rendre plus légers certains débordements de l’instrumentation mal dosée de Massenet [lire notre critique du DVD]. Il ménage une sensualité inattendue et une clarté savoureuse à l’exécution, ce qui favorise la balance idéale avec les voix. De ce fait, Cendrillon révèle une fosse plus mélodique. Le chef dispose d’un orchestre en pleine forme dont les musiciens honorent la partition à chaque instant. La couleur et la nuance sont les excellents atouts de la soirée. Les artistes du Glyndebourne Chorus se montrent pleinement à la hauteur.
Cette œuvre fait appel à une grosse quinzaine de chanteurs, avec cet appétit fin-de-siècle des gastronomes d’autrefois. On applaudit le sextuor parfait formé par Sofia Larsson, Jacquelyn Parker, Jennifer Witton, Leslie Davis, Rhiain Taylor et Lauren Easton, Esprits facétieux et bien-chantants qui se jouent des embûches rythmiques. On découvre en Surintendant des plaisirs un jeune baryton-basse extraordinaire, avec une voix longue, l’autorité naturelle du timbre et une saine intelligence musicale : il s’appelle Romanas Kudriašovas et l’on espère l’entendre bientôt dans un vrai rôle. L’unique ténor de la pièce, indiqué trial, c’est-à-dire bouffe, est confié à Anthony Osborne, délicieux Doyen de la faculté. Un duo de méchantes sœurs est tout à son affaire : Eduarda Melo incisive et solaire Julie Pasturaud. La grosse voix d’Agnes Zwierko impose une Haltière terrible, dans tous les sens du terme. On retrouve le valeureux Lionel Lhote en Pandolfe froussard et bon. Il mène loyalement la ligne de chant et s’avère, de toute la distribution, le plus à jour avec la diction française. L’unique déception vient du Prince charmant – c’est un comble ! L’instrument de Kate Lindsey manque de corps et le timbre est trop terne. Bien connue en tant qu’interprète des joyaux baroques, Danielle de Niese donne au rôle-titre sa belle énergie, avec une grâce indéniable. Pourtant, un médium instable et une technique parfois en faute, sans parler du français calamiteux de l’Australienne, n’en font guère une Cendrillon de référence. À l’inverse, la coloratura Nina Minasyan jouit d’une agilité époustouflante qui booste considérablement la partie de la Fée.
HK