Chroniques

par laurent bergnach

centenaire Debussy
François Chaplin, Karine Deshayes et François Salque

Auditorium du Musée d’Orsay, Paris
- 22 mars 2018
François Chaplin, Karine Deshayes et François Salque fêtent Claude Debussy
© joseph muller

N’ayant pas eu l’autorisation parentale de célébrer le centenaire de sa naissance plutôt que celui de sa mort, du moins pouvions-nous décider dans quelle salle fêter Debussy (1862-1918). En effet, durant la saison parisienne, nombre d’institutions saluent le père de L’enfant prodige (1883) et de La damoiselle élue (1888) [lire notre critique du CD], souvent sous la forme coutumière d’un cycle [lire notre chronique du 27 janvier 2012], à l’instar de Radio France et du Musée d’Orsay. Par sa vocation déjà trentenaire de montrer la diversité de la création artistique occidentale de 1848 à 1914, c’est évidemment l’auditorium de ce dernier que nous avons privilégié, qui propose neuf rendez-vous chambristes, entre février et mai.

« J’écris des choses qui ne seront comprises que par les petits-enfants du XXe siècle », annonça le Français ; ses compatriote Messiaen, Dutilleux et Boulez lui ont donné raison. Parmi les instrumentistes qui explorent son œuvre à leur tour, François Chaplin figure en bonne place, avec une intégrale pour piano au disque et sur scène [lire notre critique du volume 4 et notre chronique du 7 décembre 2004] – lequel « pare ses interprétations d’une liberté de ton, d’une souplesse, d’un ton rêveur et capricieux qui renvoient à Chopin, Liszt, Schumann, voire Mozart », dixit Philippe Cassard (in Claude Debussy, Actes Sud, 2018). Extrait des Préludes, Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir livre des timbres charnus, sans lourdeur ni nuance excessive. Plus loin, La terrasse des audiences du clair de lune est un mélange de délicatesse timide et retenue, voire distanciée, et d’allégresse plus lâche.

Deux partenaires rejoignent successivement le pianiste. C’est d’abord François Salque, avec un violoncelle passant d’une mélancolie éthérée à une énergie quasi folklorique tout au long de la Sonate en ré mineur n°1 (1916), écrite au bord de La Manche durant l’été 1915. C’est ensuite Karine Deshayes, venue remplacer Stéphanie d’Oustrac souffrante. Avec Beau soir, on apprécie d’emblée la rondeur et l’ampleur d’une voix habitée, de même que l’agilité, la nuance et l’art de capter l’attention dans C’est l’extase langoureuse.

Le 17 mai 1893, Pelléas et Mélisande, la pièce de Maeterlinck, est créé aux Bouffes-Parisiens. Debussy va fignoler son adaptation lyrique jusqu’en 1902, et c’est avec sarcasme qu’il parle de l’œuvre éponyme de Gabriel Fauré (1845-1924) accompagnant une production théâtrale londonienne (1998) : lui est le « porte-musique d’un groupe de snobs et d’imbéciles », son héroïne une « fileuse pour casinos de stations balnéaires ». C’est pourtant ce rival déprécié qu’on invite ce soir, avec notamment trois duos pour violoncelle et piano, conçus entre 1880 et 1917 : Élégie Op.24, Sicilienne Op.78 et Sonate en ré mineur Op.109 n°1. Du premier, on goûte les cordes à la digne plainte, aux accents de berceuse puis de mélodie russe ; du deuxième la danse fluide et évanescente ; du troisième, enfin, les mouvements caractérisés – virtuosité attendrie, mélancolie solennelle et élans libérateurs.

De l’élève de Saint-Saëns, Karine Deshayes chante trois mélodies de la centaine écrite depuis l’adolescence [lire notre critique du CD] : La chanson du pêcheur Op.4 n°1, Les berceaux Op.23 n°1 et Les roses d’Ispahan Op.39 n°4. Là encore, on apprécie un mezzo tout en souplesse, facilitant des passages faciles à l’aigu, et fort émouvant. L’égalité sur toute la tessiture, des graves vibrants et expressifs réhaussent également deux succès d’Henri Duparc (1848-1933), L’invitation au voyage et Extase. Le programme s’achève avec nos artistes réunis dans une adaptation d’Après un rêve Op.7 n°1 de Fauré, puis dans Élégie de Massenet (1842-1912), réellement écrite pour cette formation, comme le précise la chanteuse en annonçant ce bis qui couronne une soirée de qualité.

LB