Chroniques

par bertrand bolognesi

Centenaire Pierre Boulez – Pli selon pli (1957-1990)
Sarah Aristidou, Les Siècles, Franck Ollu

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 7 janvier 2025
Franck Ollu dirige Les Siècles : PLI SELON PLI de Pierre Boulez...
© cyprien tollet | théâtre des champs-élysées

C’est hier après-midi que furent officiellement lancées les célébrations du centenaire de Pierre Boulez. Le programme 2025 année Boulez, initié par Laurent Bayle, son commissaire général, et la Philharmonie avec le ministère de la Culture, était inauguré en soirée par l’Ensemble intercontemporain et son chef Pierre Bleuse qui livrèrent un grand moment fait de quatre opus du maître français (né le 26 mars 1925 et disparu le 5 janvier 2016), dont Répons, son chef-d’œuvre des années quatre-vingt [lire notre chronique de la veille].

Outre de jouer les œuvres du compositeur, comme c’est aussi le cas ce soir, avenue Montaigne, et celles que le chef d’orchestre affectionnait de diriger, 2025 année Boulez s’attelle également à continuer d’aller plus loin, pour paraphraser le titre d’une pièce de Philippe Leroux, en commandant dix-neuf pages à des créateurs d’aujourd’hui. Ainsi de Nothing ever truly ends de Charlotte Bray, découvert hier, de Tombeau I d’Olga Neuwirth qui verra le jour le 8 février, lors du festival Présences qui consacre son édition 2025 à la compositrice, ou encore de Faro de Claudia Jane Scroccaro, à entendre en juin au festival ManiFeste – nous circonscrivons ces informations à l’avenir proche, sachant que la révélation publique des commandes s’étale jusqu’en 2026, avec les compositrice Deena Abdelwahed, Natasha Barrett, Chaya Czernowin, Lara Morciano et Lisa Streich, et les compositeurs Dieter Ammann, Arnau Brichs (prix Élan), Bastien David, Dai Fujikura, Márton Illés, Philippe Leroux, Hèctor Parra, Brice Pauset, Yann Robin, Simon Steen-Andersen et Marco Stroppa.

2025 année Boulez est aussi l’occasion rêvée d’interroger le parcours singulier de Boulez au fil de colloques, tables rondes et conférences, mais encore d’approfondir, via des publications précieuses, l’approche que chacun en peut avoir. Les Éditions Contrechamps font paraître la correspondance avec Henri Pousseur (sous la responsabilité éditoriale du musicologue Pascal Decroupet), puis, en collaboration avec la Philharmonie de Paris, celle avec Pierre Souvtchinsky (sous la responsabilité éditoriale des musicologues Gabriela Elgarrista et Philippe Albera), tandis que la Paul Sacher Stiftung met à jour la correspondance Pierre Boulez et Karlheinz Stockhausen (sous la responsabilité éditoriale de la musicologue Angela Ida De Benedictis). Il y a quelques jours sortait chez Odile Jacob l’ouvrage de Laurent Bayle, Pierre Boulez, aujourd’hui. Enfin, un livre-catalogue exhaustif, raisonné et illustré, naîtra au mois de mars, édité par la Philharmonie qui en a confié la direction à Alain Galliari (en partenariat avec la BnF et la Paul Sacher Stiftung). À la fin de ce mois de janvier, les éditions d’art In Fine publieront un livre de Robert Piencikowski, intitulé Pierre Boulez « aux Champs », qui visite les quatre décennies durant lesquelles l’artiste vint régulièrement s’exprimer sur cette scène face à laquelle nous nous trouvons ce soir.

Pli selon pli, le second des trois grands opus bouléziens, est à l’honneur de ce concert de l’orchestre Les Siècles – les deux autres sont, pensons-nous, Le marteau sans maître (1955) et Répons (1985). L’aventure de ce portrait de Mallarmé commençait en 1957 par la conception des Improvisation I (Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui) et II (Une dentelle s’abolit) qu’Hans Rosbaud a créées à Hambourg au début de l’année suivant, à la tête du NDR Sinfonieorchester et avec le soprano colorature Ilse Hollweg. De 1959 à 1962, Boulez écrit un nouveau mouvement, Tombeau, dont il dirige la première lors des Donaueschinger Musik Tage d’octobre 1962, avec le soprano suisse Eva Maria Rogner. Entre-temps, il a composé Improvisation III (À la nue accablante tu) (1959) et l’a donnée à Baden-Baden au printemps de la même année (avec Rogner, déjà), et enfin Don (1960-1962), joué en une première fois dans sa version soprano et piano (Cologne, juin 1960), puis créé par la même équipe (Eva Maria Rogner, SWR Sinfonieorchester Baden Baden, Pierre Boulez) à Amsterdam, le 5 juillet 1962. Dès lors, Pli selon pli articule ses cinq sections comme suit : Don, Improvisations sur Mallarmé I, II et III, Tombeau. Après plusieurs exécutions, le musicien retravaille l’Improvisation III en 1983, puis encore Don en 1990, ce qui mène à ce que l’on considère comme version définitive du cycle complet.

Bien qu’abordé sous la direction de Boulez lui-même, tel que c’était encore le cas lors d’un des derniers concerts qu’il dirigea [lire notre chronique du 27 septembre 2011], Pli selon pli est entré dans l’interprétation depuis longtemps, comme le signalèrent plusieurs lectures [lire nos chroniques de celles de Daniel Kawka et de Dominique My]. À son tour Franck Ollu s’en saisit, menant ce soir une approche scrupuleuse et plutôt raide qui semble prendre le parti de la radicalité des années 1950-60 au détriment d’une réconciliation certaine, dans l’après-Répons, avec la sensualité. La partie vocale est assurée par le soprano Sarah Aristidou qui, bien qu’ayant été fort positivement remarqué dans Le grand macabre de Ligeti [lire nos chroniques du 19 novembre et du 2 décembre 2023], ne satisfait guère aujourd’hui (intonation très approximative, soutien aléatoire, impact hasardeux, etc.).

La seconde partie du concert s’attache à la musique de Debussy, via deux pages : d’abord Trois poèmes de Stéphane Mallarmé (1913) orchestré par Heinz Holliger en 2016, dont nous entendons une lecture relativement terne, puis La mer, qui ne convainc pas plus. Des compositeurs dont avec assiduité Boulez fréquenta l’œuvre tout au long de sa carrière, Debussy fait bonne figure dans les six premiers mois de ce centenaire, au contraire de Schönberg ; espérons que les œuvres des trois Viennois seront honorées en deuxième semestre. Les prochains rendez-vous de 2025 année Boulez ? À la Philharmonie les 9 et 10 janvier (Initiale par l’Orchestre de Paris), le 13 (Éclat par le London Symphony Orchestra) et le 17 (Notations I-IV et VIII par l’Orchestre national de France).

BB