Chroniques

par bertrand bolognesi

Centième Symphonie d’Haydn et Quatrième de Mahler
Regula Mühlemann, Staatskapelle Dresden, Mariss Jansons

remise du Prix Herbert von Karajan au chef letton
Osterfestspiele Salzburg / Großes Festspielhaus
- 14 avril 2019
remise du Prix Herbert von Karajan au chef letton Mariss Jansons
© ofs | matthias creutziger

Ce soir, le deuxième de l’édition 2019 de l’Osterfestspiele Salzburg qui en comptera une dizaine, Christian Thielemann confie sa précieuse Staatskapelle Dresden à son aîné Mariss Jansons. Tous deux ont été les assistants d’Herbert von Karajan, le Letton en 1969 et en 1978 quant au Berlinois. En première partie de programme, voici la Symphonie en sol majeur Hob.I:100 « Militärsinfonie » écrite à Londres par Joseph Haydn en 1794. Très aéré, l’Adagio liminaire dépose une lueur un rien poussive aux premiers pas de la soirée, non dépourvue d’une certaine bonhommie contemplative. Après un roulement mafflu de timbales, le mouvement prend naissance dans la fraicheur des bois et la vivacité des cordes, Allegro précis et fonceur qui bénéficie de la couleur spécifique des bois saxons – il n’est pas inutile de rappeler que la formation dresdoise est l’une des rares à cultiver encore aujourd’hui une sonorité particulière qui fait sa personnalité, inimitable et d’emblée reconnaissable, à l’heure où nous assistons à une déplorable mondialisation des orchestres qui les rend tous identiques, si ce n’est interchangeables. Ainsi du velours plus épais que d’accoutumée dans lequel s’effectue la modulation, par exemple. Sans pompe excessive ni légèreté mal venue, Mariss Jansons déploie magistralement ce premier épisode, décidément fort Sturm und Drang.

La quasi touffeur qui caractérisait l’abord précédent traverse le début de l’Allegretto magnifié par deux clarinettes tendres, les subtiles demi-teintes des bassons et la chaleur du cor. La nature presque chambriste de ce chapitre est contrariée par la crudité volontaire des percussions – triangle, tambour et timbales – qui vaut à la symphonie son surnom. Alternant des climats de marche altière et de sérénade parfumée, le mouvement laisse gronder une inquiétude discrète. La trompette arrive du lointain, comme l’écho de quelque retraite guerrière laissant le tutti gronder sa mélancolie rageuse in loco. Le pas de danse qui s’ensuit ne tomba sans doute point dans l’oreille d’un sourd : en ce Menuet l’on entend bien des aspects de la future facture rossinienne. Après un Trio quelque peu fragmenté, la reprise revêt le poids d’un Ländler romantique. Presto, le final est servi par une dynamique fort stimulante, pour ne pas dire joueuse, où la tonicité générale et la précision des nuances laissent pantois. Un cortège de musique militaire descend une allée de la Festspielhaus, arborant triangle, cymbales, caisse et carillon vaillamment brandi – voilà qui fait son effet.

En 1967, Herbert von Karajan créa l’Osterfestspiele dans sa ville natale. Un prix qui porte son nom y est désormais attaché (à ne pas confondre avec le Musikpreis décerné par Baden Baden). Le compositeur Peter Ruzicka, intendant du festival, et Christian Thielemann, son directeur artistique, gagnent le plateau afin de remettre, au nom de Mme Eliette von Karajan, cette prestigieuse distinction à Mariss Jansons qui, ému, déclare « j’étais ici en 1969 comme assistant d’Herbert von Karajan, et je fus alors très impressionné par les concerts et les opéras, ainsi que le travail en répétition. Jamais je n’oublierai ces moments ! ».

Après un bref entracte, le chef retrouve son répertoire de prédilection avec Gustav Mahler et la Symphonie en sol majeur n°4 qui marque le tournant du siècle, créée sous la baguette de l’auteur à l’automne 1901 (à Munich). Bedächtig, nicht eilen, indique le premier mouvement : aucun doute, Jansons ne se précipite pas en déclinant si calmement le petit chariot de départ. De fait, il cultive une tendresse de l’inflexion dans un amble plus lent que nombres de ses confrères, favorisant une couleur générale souvent ronde et une fluidité indicible, quelque chose de large et de soyeux non exempt de fluidité. Un cor solo fatigué vient cependant ternir, à plusieurs reprises, cette interprétation qui s’annonçait si bien – la totalité des soirées du festival incombe aux musiciens de la Staatskapelle Dresden, la fatigue est bien excusable. Au fur et à mesure qu’avance le mouvement, il est de plus en plus contrasté, parfois jusqu’à la violence, jamais la brutalité. L’ultime retour du motif initial perd son relief dans la lenteur, décidément trop appuyée à notre goût. Le spectaculaire resserrement du final semble alors un artifice assez éculé. Prenant encore le temps d’une lecture infiniment minutieuse, Mariss Jansons livre In gemächliger Bewegung de façon littérale, pourrait-on dire, avec grand soin de révéler ce que l’œuvre eut de moderne en son temps.

Et soudain, le recueillement profond et l’extrême grâce du Ruhevoll font l’enchantement de la soirée ! Le soin amoureux de chaque trait et de l’équilibre mène une approche naturellement spirituelle, sans contrition, où le hautbois se glisse comme venu de nulle part, invitant la réponse chaleureuse des bassons. Quoi de plus paisible ? L’évidente plénitude dusecond thème, bientôt mue par une arche expressive impérative, âpre et puissante. Le final s’étire tout de même beaucoup, il faut l’avouer – peut-être l’émotion de cette soirée pas comme les autres induit-elle une solennité un peu trop pesante… « …Lebt alles in sanftester Ruhe… » : à la mozartienne Regula Mühlemann d’alors prêter le charme d’un soprano pur dans la dernière partie de la symphonie, empruntant Das himmlische Leben aux Knaben Wunderhorn Lieder [lire nos chroniques de Die Zauberflöte, Das Labyrinth, Le nozze di Figaro et Fidelio]. La sûreté et la fraîcheur de cette voix dominent la réalisation fulgurante des intervalles, sans peiner sous une battue pourtant de plus en plus alanguie.

BB