Chroniques

par irma foletti

Chiara e Serafina ossia I pirati | Claire et Séraphine ou Les pirates
opera semiseria de Gaetano Donizetti

Festival Donizetti Opera / Teatro Sociale, Bergame
- 4 décembre 2022
Gianluca Falaschi met en scène "Chiara e Serafina" de Donizetti à Bergame
© gianfranco rota

Même si la mention Donizetti 200 des éditions précédentes n’est plus, le Festival Donizetti Opera met à nouveau à son affiche un titre créé il y a deux cents ans. Le melodramma semiserio en deux actes Chiara e Serafina connut en effet sa première le 26 octobre 1822, au Teatro alla Scala (Milan), puis il fut donné une dizaine de fois seulement, avant de disparaître. Cet échec valut d’ailleurs au compositeur d’attendre plus de dix ans avant de produire un nouvel opus sur cette scène prestigieuse (Lucrezia Borgia, 1833).

Il faut avouer que le livret de Felice Romani, d’après le mélodrame La citerne de Guilbert de Pixérécourt, est passablement compliqué. Don Alvaro est le père de Chiara et Serafina, celle-ci préparant son mariage avec Don Ramiro, à Majorque. Mais, ayant des vues sur Serafina ainsi que sur la fortune du papa, le méchant Don Fernando, ennemi de Don Alvaro, charge Picaro d’empêcher les noces. Parallèlement, Alvaro et Chiara, qui avaient subi une longue captivité, débarquent après une tempête en mer, mais ne dévoilent pas leur identité, Alvaro étant sous le coup d’une condamnation à mort à la suite des fausses accusations de Fernando. Les deux sont accueillis par Don Meschino, Lisetta – courtisée par le précédent – et sa mère Agnese, les trois travaillant au château de Belmonte. Les péripéties sont nombreuses : Picaro se fait passer pour le père de Serafina, les pirates débarquent et se cachent dans la citerne du château, avant une lieto fine générale lorsque Chiara a récupéré les documents qui prouvent l’innocence de son père.

Chargé de la mise en scène, de la scénographie et des costumes, Gianluca Falaschi [lire nos chroniques de La grotta di Trofonio, Armide et Les Troyens] installe une structure de décor unique constituée de deux escaliers latéraux menant à une passerelle métallique à l’étage, celle-ci donnant sur cinq portes. Des balayeurs s’affairent avant le lever de rideau. Après l’Ouverture, le paysage de bord de mer – petites vagues mobiles sur le plateau et personnages qui pêchent à la ligne au niveau supérieur – se transforme en un navire avec ses bouées, hublots, costumes de marins, quelques femmes portant des tenues de vahinés. Des panneaux latéraux descendus des cintres font passer rapidement à l’intérieur du château, un drap montrant un dessin de Jean Cocteau, têtes d’homme et de cheval qui suggèrent la statue du livret (una statua… dietro al piedestallo…), qui mène à la citerne. Dans son traitement, le metteur en scène accentue le côté bouffe en affublant tous les protagonistes, à l’exception de Chiara et Don Alvaro, de faux nez et de faux mentons qui donnent un caractère comique à la majorité des scènes.

Dans le rôle clairement bouffe de Meschino, le baryton Pietro Spagnoli, dans la plénitude de ses moyens, domine le plateau par un timbre séduisant, une projection ferme, sa musicalité à toute épreuve, étant également à l’aise dans le chant syllabique [lire nos chroniques des Nozze di Figaro, de Così fan tutte, Don Giovanni, L’elisir d’amore, I puritani, L’opera seria, L’Italiana in Algeri et Il signor Bruschino, ainsi que du Barbiere di Siviglia à Genève et à Pesaro]. La distribution est complétée par les élèves de l’Accademia Teatro alla Scala, en particulier les soprani Aleksandrina Mihaylova (Chiara) et Nicole Wacker (Serafina) pour les deux rôles-titres. La première possède un grand charme dans le timbre, mais son petit format vocal, en particulier dans la partie grave, tempère l’enthousiasme. Elle a, en tout cas, fort à faire lors de son air conclusif, sorte de rondo aux multiples acrobaties à la manière de celui de La Cenerentola (Rossini), morceau de bravoure passé heureusement sans incident mais techniquement perfectible. La seconde fait entendre un instrument précis et pointu pour ses vocalises piquées, tandis que ses cantilènes sont développées agréablement. Elle dispose visiblement d’un suraigu stratosphérique dont on entend une note pendant le duo avec Ramiro mais qu’elle n’utilise curieusement pas pour les airs individuels.

L’emploi assez développé de Picaro est tenu par le baryton Sung-Hwan Damien Park, voix bien timbrée, dynamique et sonore, quoiqu’un peu courte dans le grave. En Ramiro, Hyun-Seo Davide Park est un ténor de couleur belcantiste, sollicité en début et en fin d’opéra, qui accuse des problèmes d’intonation lors de son retour sur scène. Le rôle de Lisetta est davantage étoffé, attribué au mezzo Valentina Pluzhnikova, timbre riche et musical, tout comme celui de l’autre mezzo, Mara Gaudenzi (Agnese) [lire notre chronique d’Elisabetta, regina d’Inghilterra]. Le gentil Alvaro et le méchant Fernando n’étant jamais ensemble au cours de l’intrigue, les deux rôles sont attribués à Matías Moncada, basse qui paraît solide mais n’a, ce soir, que peu à chanter.

Dès les premières notes de l’Ouverture, un orchestre d’essence baroque se fait entendre, en l’occurrence Gli Originali qui joue sur instruments d’époque. Le son est certes moins brillant et volumineux que celui d’une phalange moderne, mais bien plus rond. Il s’accorde aux voix en présence aujourd’hui. Comme pour la plupart des formations baroques, on perçoit certaines fragilités lors de soli d’instruments à vent, mais on en apprécie la très bonne qualité globale, maintenue par Sesto Quatrini au pupitre [lire notre chronique d’Ecuba]. Le Chœur, bien en place, est lui aussi issu de l’Accademia Teatro alla Scala. Au bilan, très intéressante découverte d’une belle partition du jeune Donizetti, où l’on entend des échos rossiniens, voire mozartiens (Così fan tutte), au cours des nombreux numéros.

IF