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Chroniques
Chostakovitch et Nielsen par Santtu-Matias Rouvali
Guy Braunstein, Orchestre Philharmonique de Radio France
Pour leur deuxième concert de l’année 2017, les instrumentistes de l’Orchestre Philharmonique de Radio France retrouvent un chef avec lequel ils paraissent s’entendre à merveille, comme en rendent compte la belle humeur à jouer sous sa battue, l’engagement, la flamme, le sourire et même les applaudissements chaleureux et nourris par lesquels ils salueront Santtu-Matias Rouvali en fin de programme. De fait, ce n’est pas la première fois que le jeune Finlandais les dirige, et dans la vingt-septième édition du festival Présences bientôt consacrée à Kaija Saariaho (du 10 au 19 février) l’on s’étonne même de ne voir son nom [lire notre chronique du 19 avril 2013]. Si nos philharmonistes sont heureux de retrouver la souple fougue de Rouvali, nous aussi !
Russe et entièrement vingtièmiste, le menu du jour est introduit par une ouverture de Carl Nielsen (dont le chef a récemment gravé le Concerto pour violon Op.23). Enchantement de la lumière du sud sur le regard nordique, Helios Op.17 (1903) décrit l’évolution du miroitement solaire sur la mer Égée, admiré par le compositeur depuis une chambre d’hôtel. Contrebasses et violoncelles dessinent l’opacité contrariée des flots calmes sous un premier rayon, dans une sonorité profonde à peine relevée par les cors – un peu fragiles, aujourd’hui, il le faut avouer. Avec les violons fluides et doux, les eaux scintillent de plus belle sous le rehaut des bois. Rouvali mène un crescendo d’une indicible sensualité dans cet Andante tranquillo matinal, couronné par les salves (trompettes et trombones) triomphales de midi. Après un élégant fugato, bref mais dru, des cordes, d’une clarté heureuse, l’astre gagne le ponant, grave et ronde bonhommie qui, passée une journée de dix minutes graciles, promet un beau lendemain.
Bien qu’écrit en 1947 et 1948, le Concerto pour violon en la mineur Op.77 n°1 de Dmitri Chostakovitch attendrait Khrouchtchev et la coexistence pacifique pour voir le jour – 29 octobre 1955, sous la direction d’Evgueni Mravinski et l’archet de David Oïstrakh, à Léningrad (Saint-Pétersbourg). À parler des compositeurs de la période soviétique, grande est la tentation de gloser sur les circonstances historiques ; aussi, lui ayant peut-être cédé plus qu’à notre tour, parlerons-nous essentiellement musique. L’inflexion des cordes graves laisse bientôt se détacher le violon extrêmement délicat de Guy Braunstein – un artiste souvent admiré en tant que Konzertmeister des Berliner Philharmoniker, venu remplacer Veronika Eberle souffrante. L’option de lecture du Nocturne (Moderato) est manifestement chambriste, dans un soin subtile de l’équilibre, plutôt que de sacrifier à l’autel du pathos. Point de ces cris d’une détresse paradoxalement vigoureuse souvent entendue « en technicolor » : l’interprétation de l’excellent violoniste est toutintériorité. Omniprésent, un danger discret pèse suffisamment sur ce mouvement infiniment sensible pour qu’une aile jamais ne s’en déploie – discrètement mais sûrement, le contrebasson rappelle à l’ordre la harpe.
Par-delà le jeu de citations si cher à Chostakovitch, l’œuvre impose sa rigueur de ton dans le Scherzo, pris un peu moins Allegro qu’indiqué, comme pour en mieux faire entendre l’obsédant motif personnel (DSCH : ré, mi bémol, ut, si). Complice, Santtu-Matias Rouvali – qui déjà donnait cet opus avec le Philhar’ à Montpellier il y a deux ans et demi [lire notre chronique du 19 juillet 2014] – se garde de toute vocifération, laissant les narquoises clarinettes assaisonner l’inquiétante danse biscornue. À l’impérative austérité des premier pas de la Passacaille, dont le commentaire offre à vérifier la fort bonne santé de la petite harmonie, répond le phrasé douloureusement sténosé du violon. Pourtant, le lyrisme survient, d’abord timide, puis de plus en plus prégnant, quoique toujours maintenu dans une digne réserve. Nue, la cadenza s’élève sur une timbale qui ne veut pas finir. Pugnace plutôt que spectaculaire, Braunstein sans relâche fascine l’écoute jusqu’au lancer de mailloches de l’Allegro con brio, final festif en burlesque traversé d’une urgence assez noire. La grande tenue expressive de cette version est dûment saluée par un public enthousiaste.
Passé l’entracte, retour à l’avant-guerre avec la Symphonie en si mineur Op.54 de Chostakovitch, créée le 5 novembre 1939, toujours par Mravinski à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Leningrad (Ленинградским Филармоническим Оркестром). Contrairement à la première partie, le grand effectif est convoqué. L’épaisseur contrastée du vaste Largo initial surprend et ravit d’emblée. Avec un raffinement extrême, Rouvali fait profiter des nombreux traits solistiques (les flûtes, entre autres) d’un mouvement qui cisèle des tutti généreux par des interventions isolées. La gestion des forte, voire fortissimi,est exemplaire en ce qu’ils maintiennent la perception précise du détail – on devine chez ce jeune chef un futur mahlérien. Sans lourdeur, l’exécution bénéficie d’un relief remarquable, jusqu’en ces gelures énigmatiques qui font une des signatures du compositeur. Après le dépouillement, méditant une sorte de ruine intérieure, une virevolte de clarinette ouvre l’épisode médian, Allegro tant roboratif, fermement mené tout en ménageant l’attention nécessaire à certaines finesses timbriques rarement si bien servies. La tonicité des cordes fait belle figure dans l’ultime Presto, bal robuste et endiablé que parvient à somptueusement nuancer Santtu-Matias Rouvali, malgré une écriture relativement pesante. Un jeune homme à suivre [lire notre chronique du 18 juillet 2014]…
BB