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Chroniques
Christophe Bertrand, Anne Castex, Lorenzo Troiani et Agata Zubel
Léo Warynski dirige l’ensemble Multilatérale
Après sa soirée d’ouverture intitulée Melodia [lire notre chronique du 13 septembre 2023], le Festival Ensemble(s) poursuit sa quatrième saison avec le programme Aria, persistant ainsi dans la constellation vocale en laquelle ses organisateurs ont décidé de la placer. Fabian Chen (harpe) et Lisa Muller (piano), élèves des conservatoires des XIe et XXe arrondissements de Paris, partenaires de l’événement, ouvrent le concert par la création mondiale de Souvenirs de Shiva de Sébastien Gaxie qui, par cette pièce débutée dans les mains et à la voix parlée, répond à une commande du festival bénéficiant du soutien de la SACEM.
Nous retrouvons ensuite Agata Zubel [lire nos chroniques de Cleopatra’s Songs, Kammerkonzert et Aforyzmy na Miłosza] dont Bildbeschreibung (Description de l’image), opéra (pour soprano, baryton, ensemble instrumental et électronique) imaginé en 2016 à partir de la pièce d’Heiner Müller – connue en langue française dans la traduction Paysage sous surveillance, depuis 1987 – fut créé à Bolzano le 6 septembre 2018. Par la suite, la compositrice polonaise transcrivit pour des instruments en solo certains extraits de cette œuvre, Arie auxquelles le programme d’aujourd’hui emprunte son titre. Le flûtiste Matteo Cesari s’empare de l’une où il fait dialoguer le son des clés, le voyage du souffle et un large éventail bruitiste avec sa propre voix, scandant les mots d’une phrase allemande. Le contrebassiste Nicolas Crosse se charge de l’autre Aria selon le même principe, robuste et noueuse sous un archet plus que vigoureux.
Pianiste, musicologue et chercheuse formée à l’Université de Toulouse et au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse (CNSMD) de Lyon, la jeune Anne Castex est également compositrice. En témoigne une série d’Automates qui aborde la machine dans sa possibilité de s’humaniser. De ces trois pièces, l’une pour harpe et électronique, l’autre pour harpe et ensemble et une troisième pour harpe seule, c’est cette dernière que fait découvrir Aurélie Saraf à l’aide d’une harpe que l’on dira préparée comme le furent autrefois les pianos d’un certain John Cage. La restriction de la couleur invente un instrument-jouet qui invite à entendre l’automate, bientôt contrarié par un fil que l’on tire et qui, en frottant la corde, simule d’abord l’archet et enfin la voix elle-même – pari gagné.
En 2000, La chute du rouge, créé à Strasbourg au printemps, est l’œuvre d’un jeune homme de dix-neuf ans qui puisait alors son inspiration dans un principe formel de la poésie japonaise traditionnelle et dans les Métamorphoses d’Escher [lire notre chronique CD]. Dix ans plus tard, Christophe Bertrand tirait sa révérence – c’était un 17 septembre, ce triste anniversaire est pour bientôt. Sous la direction de Léo Warynski se réunissent le clarinettiste Alain Billard, le violoncelliste Pablo Tognan, la pianiste Lise Baudouin et la percussionniste Hélène Colombotti pour une interprétation d’une souplesse infinie de cette œuvre à la délicate construction. Aurélie Saraf, Matteo Cesari et Nicolas Crosse les rejoignent pour la première d’une pièce commandée par Multilatérale au compositeur romain Lorenzo Troiani qui convoque le soprano Laura Müller. Avec des moyens drastiquement choisis, ce Lacrimosa procède par ce que l’on pourrait appeler scansion molle tout en ayant recours à une palette de micro-sons, parfois projetés par mégaphone. S’ensuit une lente extinction.
Outre des concerts, dans l’acception habituelle du terme, Ensemble(s) s’attelle à proposer des moments plus inattendus, dans une cordialité que cultive sainement ce festival qui vit le jour en 2020, l’année de tous les périls durant laquelle les artistes, comme chacun d’entre nous, furent privés de tout contact humain pour de longue semaines. Ainsi des moments animés par la musicologue Corinne Schneider (productrice à France Musique) et des Proesie de Francesco Filidei, écrites pendant le grand confinement, que donne le soprano Jeanne Crousaud dans la cour du Théâtre L’Échangeur – la convivialité pourrait bien être la marque de fabrique de l’événement.
BB