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Chroniques
cinq créations françaises par Klangforum Wien
œuvres de Bedrossian, Corrado, Dumont, Haas et Žuraj
En première française, Emilio Pomárico et Klangforum Wien jouent des pièces créées il y a peu (Suisse, Allemagne, Italie), que signent cinq musiciens dont Aurélien Dumont, le benjamin (né en 1980). Venu à la composition après une vaste réflexion sur l’art (art-thérapie, esthétique), son chemin croise notamment Pesson, Sciarrino, Ferneyhough, Blondeau et Harvey. Quelques années après Sérieux dégâts, marqué par la lecture de Volodine et la découverte du Japon [lire notre chronique du 18 septembre 2010], Abîme Apogée (2013) s’inspire de la cosmologie chinoise, de la poésie de Dominique Quélen et de la figure d’Hildegarde von Bingen. Conçu pour quatorze musiciens, ce « dialogue d’une écriture instrumentale effacée et violente avec une électronique harmonique et intimement dérivée de la voix » s’avère sans lien avec une certaine mouvance « saturationniste », mais délivre cliquetis délicats, grincements doux et frottements discrets, dans l’aura quasi mystique de la bande-son qui gagne en importance. Une personnalité se dégage de ce travail, indéniablement, qui donne envie d’en suivre l’évolution.
Depuis maintenant vingt ans, Franck Bedrossian (né en 1971) fréquente la poésie aux résonnances énigmatiques d’Emily Dickinson, « tout à la fois complexe, radicale, imprévisible et ambiguë ». Comme d’autres avant lui – Copland, Reimann, Manoury [lire notre chronique du 11 décembre 2003], Gervasoni [lire notre critique du CD], etc. –, il a fini par mettre ses mots en musique, livrant Epigram I (2010) et Epigram II (2014) pour soprano et ensemble. Donatienne Michel-Dansac retrouve des partitions qui lui sont familières, et intervient d’une voix nuancée, souvent sur le souffle, parfois au diapason de la tourmente instrumentale (vents, cordes, percussions et piano préparé).
Élève de Solbiati, Fedele et Gervasoni, Pasquale Corrado (né en 1979) voit en Grain (2013) « une célébration du rythme de la vie scandé par une pulsation ». Contrairement à ses confrères entendus avant l’entracte, le compositeur et chef d’orchestre italien laisse peu de place au silence et préfère l’agitation franche aux frémissements, la résonnance éclatante à d’âpres frottements. Ici, dans une tension entretenue d’un bout à l’autre, tout bourdonne des vibrations d’une trompette bouchée, d’aigus de piano et du potentiel percussif (plaque métallique, sirène, fouet, etc.).
Pour sa part, Vito Žuraj [photo] a eu comme professeur Marko Mihevc, Lothar Voigtländer et Wolfgang Rihm. Dans Fired Up (2013), le jeune Slovène (né en 1979)
s’intéresse à l’idée de friction, qu’elle soit primitive (choc récurrent de deux silex entre les mains des musiciens) ou plus sophistiquée (micro-intervalles, multiphoniques, etc.) qui participent à ce qu’il appelle « sculpture du son ». Vive et nuancée, la pièce finit pourtant par lasser, collage de petits îlots sonores dont on peine à saisir la nécessité.De l’opéra au quatuor [lire nos chroniques du 12 juin 2008 et du 24 janvier 2014], Georg Friedrich Haas (né en 1953) fit maintes fois apprécier en France l’étendu de son talent. Attaché à la microtonalité – son œuvre orchestrale limited approximations rend hommage au pionner Wyschnegradsky [lire notre critique du CD] –, l’Autrichien s’intéresse ici à la pensée de Scelsi, en incluant des extraits d’expérimentations enregistrées par l’auteur d’Aiôn dans Introduktion und Transsonation (2012). Déjà porteurs de Melancholia, Pomárico et l’ensemble fondé par Beat Furrer font d’abord entendre cordes gémissantes et cuivres discrets, avant toutes sortes des variations sur la plainte (hululement, grondement, etc.). Quelques minutes avant un final assez raide, l’œuvre paraît malheureusement complaisante.
LB