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Chroniques
cinquantième anniversaire de l’Orchestre de Paris
Jörg Widmann, London Voices et Daniel Harding
L’Orchestre de Paris célèbre son cinquantenaire, au fil d’un programme dont on saluera la cohérence : le traversent des opus liés à son passé ou à son année de naissance, mais aussi l’aujourd’hui avec la création d’une commande. D’abord annoncé comme un parcourt rigoureux entre Berio, Stravinsky, Widmann et Debussy, le menu s’agrémente d’articulations nouvelles. Le banquet semble ne vouloir pas finir, à évoquer si copieusement un demi-siècle d’activité *.
Inutile d’introduire une telle fête par quelque amuse-gueule : Daniel Harding se lance d’emblée dans la pièce maîtresse d’une table généreuse. À l’automne 1968 était créé à New York Sinfonia que Luciano Berio, alors au pupitre, écrivit en 1967 et dédia à Leonard Bernstein – l’Orchestre de Paris voyait le jour cette année-là. La première européenne de Sinfonia eut lieu lors de l’édition 1969 des prestigieuses Donaueschinger Musiktage [lire notre chronique du 20 octobre 2017], par le Südwestfunk Orchester et les Swingles Singers placés sous la battue du Lorrain Ernest Bour. Désormais illustre, cette page qui tisse sa virtuosité dans le répertoire – de la Valse de Ravel au Sacre du printemps (Stravinsky) en passant par la Symphonie fantastique (Berlioz), La mer (Debussy) et bien d’autres citations, dont la chanson préférée de ce coquin d’Ochs (Strauss, Der Rosenkavalier), habilement infiltrées dans le Scherzo de la Résurrection de Mahler – fut abordée en 1972 par l’OP, lors d’une soirée dirigée par Serge Baudo au Théâtre des Champs-Élysées. Depuis, elle ne l’a pas quitté.
Sur le plateau de la Philharmonie, orné pour l’occasion de néons colorés, le chef britannique engage le premier mouvement avec un soin délicat des timbres qui induit une relative lenteur. La sonorisation assez brutale des huit voix solistes ne permet cependant pas d’apprécier à bonne mesure la prestation du London Voices, conduit par Ben Parry (Joanna Forbes-L’Estrange et Sarah Eyden, soprani ; Wendy Napier et Jo Marshall, alti ; Richard Eteson et Tom Bullard, ténors ; Nicholas Garrett et Ben Parry, basses). O King bénéficie d’une approche extrêmement prudente qui prépare idéalement la surprise à venir. In ruhig fließender Bewegung surgit avec la superbe qu’on en attend, quoique dans une sonorité maladroitement équilibrée. Si jusqu’ici les bois s’étaient signalés positivement, le violon de Philippe Aïche fait alors merveille, de même que les cuivres, trombones en tête. On regrette ensuite de ne pouvoir distinguer clairement le texte dit. Il n’est certes pas de bon ton de froncer les sourcils lors d’une birthday party, mais tout de même, cet aspect et le peu de tonicité de l’exécution laissent sur sa faim, malgré un quatrième épisode finement dessiné.
De même qu’un environnement sonore signé David Christoffel accompagnait l’installation du public dans la salle, empruntant sa matière aux archives de l’orchestre, les maîtres d’œuvre de ce grand rendez-vous en coproduction avec le Festival d’automne à Paris ont imaginé de masquer le long changement de plateau par le Poème symphonique pour cent métronomes de György Ligeti (1962). Ainsi transformé en musique d’ameublement, la pièce ne se laisse guère entendre et, comme bien souvent, ce qu’ils souhaitaient cacher est d’autant plus visible. Alors que Jörg Widmann est dans la lumière, tout en haut, en surplomb de la scène, un métronome farceur exige l’intervention humaine – voilà qui invite le sourire dans le lieu. Et Fantaisie du clarinettiste-compositeur (1973 : il avait à peine vingt ans), avec laquelle fut inaugurée récemment la Pierre Boulez Saal de Berlin [lire notre chronique du 4 mars 2017], de s’imposer alors en entremet idéal.
Le premier à mener l’Orchestre de Paris dans la Symphonie de psaumes d’Igor Stravinsky (1930) fut Seiji Ozawa, en 1971 – l’œuvre fut créée par Ernest Ansermet, à Bruxelles. À la tête du Chœur depuis 2011, Lionel Sow poursuit (après Geoffroy Jourdain et Didier Bouture) le travail commencé par Arthur Oldham à partir de 1976, à la demande de Daniel Barenboim. Avec la bonne fréquentation qu’ils en ont (huit exécutions depuis), les choristes amateurs servent magistralement (et par cœur !) Exaudi orationem meam, Domine, puis le tendre Expectans expectavi Dominum dont, non sans émotion, l’on « écoute les larmes ». La gravité joyeuse d’Alleluia, avec l’immarcescible scansion laudate Dominum, conjugue ferveur et lyrisme.
« Entre nos deux pays, il y a une certaine fascination, mais, comme nous le savons tous, il y a aussi ce passé effroyable avec deux guerres mondiales », explique Jörg Widmann à propos d’Au cœur de Paris, sa nouvelle œuvre (brochure de salle). Le compositeur bavarois convoque deux tubes de l’après-guerre : La vie en rose, la plus célèbre chanson d’Édith Piaf (1945), et Sous le ciel de Paris (musique d'Hubert Giraud, texte de Jean Dréjac) interprété par Jean Bretonnière dans le film éponyme de Duvivier (1951). Après les avoir fait apparaître sous le chapeau de l’accordéoniste, il convoque un matériel de son propre Babylone [lire notre chronique du 21 juillet 2013] mâtiné du cancan de La vie parisienne (Offenbach) dans un remâchage mal inspiré. Oublions.
14 novembre 1967. Charles Munch dirige le tout premier concert de l’Orchestre de Paris. Au programme, Symphonie fantastique de Berlioz, Requiem Canticles de Stravinsky, jeune sériel de quatre-vingt-quatre ans, et La mer de Debussy. Comme en amont de l’année Debussy (2018 sera le centenaire de sa disparition), c’est par ces esquisses symphoniques de 1905, acte fondateur de la phalange dont il est le directeur musical depuis septembre 2016, que Daniel Harding clôt le concert des cinquante ans, avec pour complice Roland Daugareil (l’autre premier violon solo). Dans le relief des harpes se lève une aube d’une tendresse inouïe, s’épanouissant bientôt dans la demi-teinte fumée des cors et les péremptoires virevoltes des flûtes. Le lyrisme survient dans la couleur subtilement désuète des violoncelles, superbe. Jeux de vagues ne lasse d’étonner, avec son hautbois persifleur – superbe Alexandre Cattet ! Sans se départir de l’exquise clarté de l’ensemble, Dialogue du vent et de la mer opère avec une énergie plus mafflue, à étrangler les livardes – indéniablement le meilleur moment du concert [disponible (dans ses grandes lignes) jusqu’au 1er mai prochain sur Arte Concerts].
Après le savoureux et fortuit total chromatique atteint par le public dans un cordial Joyeux anniversaire de bonne volonté, nous entendons An die Musik, Lied de Schubert que Luciano Berio arrangea pour chœur et orchestre à la demande de György Solti (ce dernier en dirigea la création à la tête de l’Orchestre de Paris en 1989). En bis, musiciens et chef offrent le final de L’oiseau de feu (Stravinsky) qui rappelle une soirée mémorable sous la pyramide du Louvre [lire notre chronique du 2 décembre 2008] – champagne !
BB
* Histoire(s) d’orchestre, un film de Cyril Leuthy retraçant sa belle aventure, est actuellement disponible sur la chaine YouTube de l’Orchestre de Paris