Chroniques

par david verdier

City of Birmingham Symphony Orchestra
Andris Nelsons et Gautier Capuçon

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 17 janvier 2011
le violoncelliste Gautier Capuçon joue le Concerto n°1 de Chostakovitch
© dr

Pour son deuxième concert de la saison [lire notre chronique du 29 octobre 2010], c'est dans un Théâtre des Champs-Élysées tristement rempli aux deux tiers qu'Andris Nelsons a dirigé son City of Birmingham Symphony Orchestra – son aîné et mentor Mariss Janson avait connu le même sort en décembre –, chose d'autant plus regrettable quand on considère la qualité du programme à l'affiche et le niveau des interprètes. Cette fois-ci, le menu s'articulait autour d'une variation tripartite de la figure du héros : romantique (Egmont), politique (Chostakovitch) et anti-héros (Strauss).

Le choix d'Egmont de Beethoven est une forme de défi que se lancent d'emblée chef et musiciens, fusion à froid, la morsure de cet unisson initial en fa mineur et ce marcato attaqué dans la chair du son. La battue est très énergique, d'une énergie plastique, des appuis toniques, jouant sur le rebond legato des archets – c'est clair, roboratif mais jamais analytique. Cet effet doit beaucoup au choix insolite du timbalier d'utiliser des baguettes baroques sans feutre jusqu'au point d'arrêt (mort d'Egmont) et des baguettes traditionnelles par la suite. Nelsons n'hésite pas à étirer le tempo, quitte à rendre dangereuses et approximatives certaines attaques de la petite harmonie, surprise par le geste. La texture harmonique demeure fort lumineuse d'un bout à l'autre de la pièce, les timbres, jamais exagérément sombres ou granitiques – quel saisissant contraste avec le bis donné par Christian Thielemann et les Wiener Philharmoniker en novembre dernier…

On pourrait croire que le jeune chef letton est poursuivi par le sort en ce qui concerne le choix de ses solistes. Certes, Gautier Capuçon n'est pas Mihaela Ursuleasa, et le chef n'a pas eu cette fois-ci à supporter minauderies et histrionisme. Ici, le défaut viendrait davantage d'un certain repli sur la recherche du beau son – une posture, donc, sans le préfixe privatif de la malencontreuse pianiste roumaine. Le Concerto pour violoncelle en mi bémol majeur Op.107 n°1 de Chostakovitch exige de l'interprète une véritable compréhension et un engagement au-delà de la virtuosité. D'emblée, les sonorités que tire Gautier Capuçon de son Goffriller ne laissent planer aucun doute sur ce qu'il cherche à imposer. Le poids de l'archet sur la corde de do produit une aspérité gommeuse proprement vrombissante. Le jeu est assez héroïque, démonstratif et sonore, mais peine à se fondre avec l'orchestre. Les péroraisons slaves expriment un lyrisme appuyé qui écrase certains détails dans l'arrière-fond orchestral (pour preuve, à la fin du premier mouvement, ce malencontreux dialogue cor-soliste où chacun se hausse du col, jusqu'à détimbrer quelque peu).

Dans les prémisses du deuxième mouvement, Jansons crée un continuum d'une belle transparence sur lequel peut librement s'exprimer le soliste. Capuçon ne sait malheureusement pas se faire oublier longtemps et libère vite sa propension naturelle à relâcher le vibrato lorsqu'il quitte le registre aigu, à contre-sens du glacis a-sentimental et diaphane.

Deux beaux moments, cependant : le sur-place ataraxique du célesta, avec les cordes lancinantes qui dialoguent avec le violoncelle en harmoniques. La cadence est d'un lyrisme exogène, loin du relief viscéral qu'exigerait la partition. Le soliste ne se hasarde pas à faire déchanter la ligne mélodique et se la maintient dans un soin très esthétisant accordé aux notes de passage. Cette façon de faire un sort à chaque note transforme le final en fuite en avant accelerando, remâchant l'exaspérant motif DSCH à l'envi, dans une spirale à la fois volubile et sophistiquée.

Crime parfait avec un bis en forme d'assassinat en règle de ce qu'il restait d'élan douloureux et d'esprit de résistance politique : le Cygne de Saint-Saëns, scie musicale nimbée d'une improbable harpe efflorescente en arrière-fond…

En deuxième partie, Andris Nelsons balaie cette mièvrerie d'un revers de main en laissant éclater l'unisson initial cors/cordes d'Une vie de héros – lointain écho de la Symphonie Eroica transfiguré, massifié par Strauss avec beaucoup de volume et d'ampleur. Par contraste, le travail des cordes dans la masse occasionne chez les bois et les cuivres certains sons droits et un relatif manque de nuance. La femme du héros est, pour une fois, exprimée avec ce qu'il faut de suavité et d'abandon par l'excellent violon solo Laurence Jackson. La bataille est menée de main de maître par Nelsons qui soulève l'orchestre avec un brio remarquable. Les pupitres de vents piaillent délicieusement, sous les fracas implacables de la caisse claire et la pyrotechnie des cymbales. La conclusion est superbe, subtilement déployée sur un tapis de notes tenues, avec des diaprures de timbres inouïes. LA marque de ce jeune chef, c'est cette approche finalement plus picturale et hédoniste que cérébrale et métaphysique, sans ce regard nostalgique sur un monde finissant qui planait sur les interprétations de Böhm ou Karajan.

DV