Chroniques

par bertrand bolognesi

City of Birmingham Symphony Orchestra
Andris Nelsons jour la Neuvième de Beethoven

Anna Gabler, Lioba Braun, Toby Spence et Vuyani Mlinde
Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 11 septembre 2014
En 1902, Max Klinger sculptait un somptueux monument à la mémoire de Beethoven
© bertrand bolognesi, leipzig, 2013 | beethoven par max klinger, 1902

Dans l’été finissant mais encore bien bleu s’ouvre la rentrée musicale parisienne, marquée par la reprise de Traviata à l’Opéra Bastille et une actualité beethovénienne, puisque Philippe Jordan ouvrait hier son intégrale des symphonies au Palais Garnier(Op.36 n°2 et Op.92 n°7, pour commencer ; prochain rendez-vous le 7 novembre) et qu’on retrouve les quatre panneaux ornementaux de Maurice Denis sous la protection desquels le City of Birmingham Symphony Orchestra et son chœur honoreront le compositeur rhénan.

C’est sous la direction d’Andris Nelsons, son chef titulaire tout récemment apprécié à Lucerne [lire notre chronique du 24 août 2014], que le CBSO joue ce soir. Tout en affirmant une énergie extrêmement concentrée dès l’Allegro vivace initial de la Symphonie en fa majeur Op.93 n°8, la baguette lettone précarise délicatement les effets de masse, dessine ses pupitres, convoquant une gestuelle résolument économe au service d’une passionnante opposition entre un ancrage bien terrestre, un « décollage » fragile et une onctuosité momentanée des motifs les plus « ronds ». Après la discrète élégance de la dernière phrase, la sècheresse de l’Allegretto scherzando situe le deuxième mouvement dans une couleur presque italienne et l’expérience haydnienne, ici vertement soulignée par des contrastes qui font sens. Encore Nelsons tire-t-il le Menuet vers un Ländler un peu lourd, de cette cordialité presque paysanne contredite par la coloration plutôt savante des bois (le basson, notamment). Un rien exsangue, cette version oscille entre des blocs à l’effervescence satisfaisante et une raréfaction pupitrale trop légère.

Après l’entracte – de dix ans !... (entre février 1814 et mai 1824, dates de création des deux œuvres au programme) –, la scène de l’avenue Montaigne est investie par les choristes ouest-midlandais et un effectif orchestral nettement plus développé. Dans le premier mouvement de la Symphonie en ré mineur Op.125 n°9, Andris Nelsons joue sur l’acidité assez crue de ses cordes pour mettre mieux en valeur les « coups de gueule » du Grand Sourd. Il en élève les surplaces en un secret très chargé, recourant à une timbale infiniment précise, percussif sans aura exagérée. Par-delà certains rubatos trop appuyés, la souplesse du tempo et le nerf de l’inflexion générale convainquent d’emblée. Pourtant, l’électricité captivante des premiers pas du Molto vivace retombe tôt, au fil d’un Presto presque « plan-plan » ; le Scherzo est soigné et la Coda fermement superfétatoire.

C’est assurément l’Adagio qui porte le concert à son sommet. La grâce s’en fait dignement introspective, usant de cordes avantageusement maigres et d’une précieuse ciselure des vents. Jamais la dynamique n’est démonstrative, qu’il s’agisse de surenchérir les contrastes ou d’affirmer trop quelque option chambriste : au contraire, l’équilibre est idéal, gagnant dans la demi-teinte mi bémol majeur de la cinquième section une fluidité confondante, avant une conclusion recueillie.

Toutefois, l’enchantement ne dure pas. Le Presto d’ouverture du dernier mouvement rame comme il peut, et les choix très personnels d’accentuation dans l’Allegro suivant déroute sans retenir l’écoute. Après un unisson approximatif, le couple contrebasses-violoncelles fuselle d’un beau et svelte pianississimo la première exposition instrumentale d’An die Freude. La contagion polyphonique s’effectue comme naturellement – parler d’une lecture « analytique » serait proprement mentir.

La basse ouvre le chant, « O Freunde… » : riche, cette voix accuse une émission peu stable et un sur-grave terne. En revanche, la clarté du timbre de Toby Spence, malgré une certaine raideur dans le haut du registre, magnifie l’approche infiniment musicale du ténor britannique. Le CBSO Chorus s’avère efficace dans les passages vaillants, mais moins probant dans les entrelacs plus subtils (les ténors ne sont guère exemplaires, par exemple). Irréprochable, le mezzo Lioba Braun n’est pas aussi présent qu’à l’accoutumé [lire nos chroniques du 2 septembre 2011 et du 9 juin 2005, ainsi que nos critiques des DVD Das Rheingold et Tristan und Isolde, entre autres]. Notre chère Annette Dasch étant aujourd’hui souffrante, nous retrouvons la non moins chère Anna Gabler, volontiers applaudie ici et là dans les rôles wagnériens [lire notre chronique du 13 mars 2013 et notre critique du DVD Die Meistersinger von Nürnberg]. La chaleur « bluffante » du soprano fait merveille !

À l’exception de l’Adagio évoqué plus haut, superbe, Andris Nelsons signe une lecture intéressante, sinon inspirée, dont la mise en valeur de l’écriture des vents fait parfois penser (toute proportion gardée) à l’optique de Jos van Immerseel dans son intégrale (Zig-Zag Territoires, 2008). Il sculpte la fugue chorale dans un granit des plus résistants, puis resserre le Prestissimo final dans un hors-temps proprement frénétique – fou de joie ? – qui emporte le public.

BB