Chroniques

par bertrand bolognesi

Claudio Bohórquez, Daishin Kashimoto, Éric Le Sage,
Natalia Lomeiko, Emmanuel Pahud, Jean-Guihen Queyras,

Joaquín Riquelme García, Olivier Thierry et Youri Zhislin
Festival de Salon-de-Provence / Château de l’Empéri
- 4 août 2020
…de trios en quintettes… Dvořák, Schubert, Martinů et Vierne à l'Empéri
© aurélien gaillard

Après les fort beaux concerts appréciés à l’Abbaye de Sainte-Croix [lire nos chroniques du 31 juillet et du 1er août 2020], nous retrouvons le Festival de Salon-de-Provence pour une soirée chambriste par vents tournants, dans la cour du Château de l’Empéri. Neuf solistes y sont réunis, formant trio et quintette, à défendre un programme éclectique de haute tenue. Ainsi du flûtiste Emmanuel Pahud, du violoncelliste Jean-Guihen Queyras et du pianiste Éric Le Sage qui s’engagent derechef dans une exécution brillante du Trio H.300 de Bohuslav Martinů (1944). Au Poco allegretto liminaire ils ménagent revigorante fluidité et fraîcheur savoureuse, jusqu’au final joyeusement triomphant. En méditation élégiaque, l’Adagio médian bénéficie d’une approche infiniment nuancée que le piano infléchit d’abord en solo. La mélodie plaintive laisse rêveur. Après un bref recitativo de la flûte, l’ensemble, primesautier, superpose des motifs obstinés dans une alternance de caractères.

Par ce temps de mistral en rafales furibondes, le mystère acoustique du lieu n’est pas des moindres. Contrairement à bien des espaces extérieurs, celui-ci transmet chaque détail de l’interprétation, à tel point qu’on s’interroge vraiment sur un phénomène que ne dément pas le Quintette en ut mineur Op.42 écrit par Louis Vierne entre de décembre 1917 à mai 1918, « en ex-voto à la mémoire de mon cher fils Jacques mort pour la France à dix-sept ans », annonce la partition. On est immédiatement saisi par l’austérité douloureuse du Poco lento introductif, sous les archets des excellents Natalia Lomeiko, Daishin Kashimoto (violons), Joaquín Riquelme García (alto) et Claudio Bohórquez (violoncelle). Des cordes la sonorité mordorée gagne un lyrisme tragique, idéal dans cette œuvre qui toujours bouleverse [lire nos chroniques du 6 juin 2003, des 26 mars et 22 juillet 2014, ainsi que des enregistrements du Quatuor Arthur-Leblanc et de l’Ensemble Calliopée]. La déchirante partie d’alto de mouvement central (Larghetto sostenuto) est admirablement servie par Joaquín Riquelme García, dans un recueillement indicible. Après le chant éperdu du grand développement post-romantique en tutti, le climat renoue avec les premiers pas du quintette. Le danger est imminent dans les appels péremptoires du piano, en préambule de Maestoso conclusif, épisode férocement ressassé sur une dérision militaire qui mène à la déploration.

Daishin Kashimoto et Jean-Guihen Queyras prennent place devant Éric Le Sage et donnent le Nocturne en mi bémol majeur D.897 de Franz Schubert, faisant succéder à l’apesanteur fascinante du début une tonicité ténue. Il est temps de louer les artistes qui conjuguent de formidables qualités musicales à une inspiration sans cesse renouvelée. L’altiste Youri Zhislin et le contrebassiste se joignent ensuite à Lomeiko, Kashimoto et Bohórquez pour le Quintette en sol majeur Op.77 d’Antonín Dvořák (1875). De cette vaillante interprétation, on gardera longtemps en mémoire les deux derniers mouvements où sont cultivées douceur inouïe (Poco andante)et frémissante lumière (Allegro assai). Les bourrasques ne se sont pas assagies, mais de ce froid peut nous chaut, la musique fut si belle !

BB