Chroniques

par jérémie szpirglas

Collegium Vocale Gent
Josquin des Prés par Philippe Herreweghe

Festival de Saintes / Abbatiale de l'Abbaye aux Dames
- 13 juillet 2010
au Festival de Saintes, Philippe Herreweghe joue Josquin des Prés
© dr

La plupart des chefs originellement étiquetés « baroqueux » s'aventurent, depuis une grosse décennie, vers Mozart, Beethoven et, plus tardivement, vers romantisme, postromantisme et répertoire vingtiémiste. Si l'on peut apprécier ou non leur travail dans ces répertoires, il faut lui reconnaître la rigueur d'une démarche qui, reproduisant celles qu'ils élaborèrent avec la musique ancienne, est bien souvent source d'agréables surprises. On constate aujourd'hui que les festivals qui leur étaient originellement réservés leur ont aujourd'hui emboité le pas et font avec eux ce grand écart temporel.

Philippe Herrewegheest indéniablement de ces chefs qui peuvent diriger avec un égal bonheur Gesualdo et Bruckner ; parce qu’il bénéficie de l'acoustique presque parfaite de l'Abbatiale de l'Abbaye aux Dames, le Festival de Saintes itou. Ils le prouvent durant cette quinzaine, puisqu'Herreweghe, qui dirigera la Missa Solemnis de Beethoven à la fin de la manifestation, joue ce soir Josquin des Prés, dans un programme de Motets organisé autour du culte marial.

D'un bout à l'autre de son immense carrière, au concert comme au disque, l'un des signes distinctifs de son travail est, en plus de son indéniable talent, la qualité irréprochable de sa conduite chorale : ses chœurs, et notamment le Collegium Vocale Gent ici présent, sont toujours d'une justesse hallucinante, parfaitement en place et d'une rondeur homogène exemplaire.

On ne s'étonne pas, dès lors, d'entendre dès Ecce tu pulchra es, le premier motet (à quatre), l'équilibre époustouflant du petit ensemble vocal qui répond au doigt et à l'œil à la direction économe de son chef. Les voix sont belles et rayonnantes. On est rapidement plongé dans la plus profonde contemplation, fasciné par la pureté des lignes, la clarté des contrepoints, la lumière que dégagent les harmonies parfaitement dosées – sans jamais sombrer dans une excessive austérité a cappella. La seule réserve qu'on pourrait formuler (en cherchant bien) concernera l'énonciation : à vouloir tout arrondir, phrasés et lignes mélodiques, la diction perd un peu en netteté. Qu'importe ! Les tempi sont toujours allants, la pulsation, comme mue par un moteur formidable, anime avec bonheur sujets et commentaires. Bien loin de toute complaisance contemplative, Philippe Herreweghe va parfois jusqu'à faire bondir cette musique avec une exaltation communicative, comme sur la fin du Credo de l'Ave Maris Stella.

Sa démarche prend une véritable dimension pédagogique, vulgarisatrice – sa direction est sans insistance, en filigrane, on peut la négliger de même qu'on peut oublier rapidement le fil rouge (féminin) de ce programme. Maîtrisant parfaitement son sujet, Herreweghe le rend d'une clarté limpide, même aux néophytes. Ainsi de ce Stabat Mater qui à merveille illustre la révolution que représente la contribution de Josquin à la musique vocale de son époque, autant pour le développement et l'équilibre des contrepoints que pour les saveurs et couleurs modales qui sous-tendent le texte. Le concert se terminera sur un Ave Maria, gratia plena magique, merveilleux de pureté quiète, qui trouve un parfait écrin dans l'architecture romane lumineuse du pays de Saintonge.

JS