Chroniques

par bertrand bolognesi

Collegium Vocale Gent, Philippe Herreweghe
Passio Domini nostri J.C. secundum Evangelistam Matthaeum BWV 244

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 12 avril 2017
Gesù spoggliato (Via crucis) de Giovanni Tiepolo (1749)
© bertrand bolognesi, venise 2013 | giovanni tiepolo – gesù spoggliato, 1749

Seconde des Passions qu’à Paris nous suivons en cette semaine pascale, la Matthäus menée par Philippe Herreweghe déçoit par de nombreux aspects. Bien que nettement moins fermée que celle de la Johannes appréciée en l’Église Saint-Roch lundi soir [lire notre chronique de l’avant-veille], cette version paraît n’être point véritablement habitée, ni traversée de la gravité qu’extérieurement elle affiche – un comble : démontrer un caractère si farouchement évident que, de fait, l’exécution jamais n’atteindra.

À entrer plus dans le détail afin de dépasser cette impression générale, notons l’accentuation assez dure du premier chœur, mais encore le marcato envahissant de l’orchestre, tout au long du concert. Il est envisageable que l’acoustique assèche le rendu, mais certainement pas au point d’entraver autant un effort de fluidité qu’immanquablement il faudra considérer comme inexistant. Encore cherchera-t-on quelque explication dans une envisageable déformation de l’écoute qui nous pourrait venir d’avoir entendu deux jours plus tôt la Saint Jean sous la voûte ; ces « réglages » se font toutefois rapidement (l’expérience le démontre), du phénomène la conscience qu’on a ne peut, par sa remarque, qu’atténuer un peu la réception. Il n’empêche : après trois heures sous le lustre art déco, la lecture raide et corsetée d’Herreweghe semble sans inspiration et demeure étrangère.

Indépendamment de ce constat, on n’incriminera ni les forces instrumentales ni les choristes irréprochables du Collegium Vocale Gent, tous à leur tâche. Quant aux solistes, s’en sortent ceux qui tournent le dos à l’option du chef. L’Évangéliste de Maximilian Schmitt fait un début d’une timidité chevrotante, puis trouve peu à peu ses marques : dès lors, l’émission se stabilise. Moins ornementale qu’à Berlin il y a quelques années [lire notre chronique du 19 avril 2014], la présence se précise et l’investissement du texte gagne des demi-teintes fort expressives. Dans sa première intervention, certes gracile, Damien Guillon – exceptionnel dans l’H-Moll-Messe au printemps dernier [lire notre chronique du 4 mai 2016] – s’avère presque effacé ; il prend de l’assurance dans le duo avec Dorothee Mields qui, elle, ose chanter pleinement, dès sa première aria, lumineuse. Ce n’est pas le cas de la charmante Grace Davidson, trop timorée bien qu’elle possède indéniablement les moyens requis. Aux timidités d’Alex Potter et de Peter Kooij répondent l’étonnant flamboiement de Reinoud Van Mechelen, la clarté fulgurante de Thomas Hobbs, toujours aussi sûr [lire notre chronique du 13 novembre 2014, entre autres] et, surtout, le phrasé somptueusement nourri de Tobias Berndt, basse luxueusement impactée qui se révèle LA voix de la soirée.

Le choix du baryton-basse Florian Boesch pourra surprendre.
La fermeté de la projection et la robustesse parfois nasalisée du timbre campent un Jésus autoritaire. L’idée d’un rogue Christ en hargne suggère de méditer de nouvelle manière le mythe chrétien. Souvent salué dans diverses incarnations [lire nos chroniques Die Jahreszeiten, Fantaisie chorale, Die Dreigrochenoper et Wozzeck], cet artiste conduit magistralement son chant dans un caractère presque belliqueux, à peine ébranlé par l’approche du calvaire, qui interroge le texte en profondeur.

BB