Chroniques

par christian colombeau

Colombe
opéra de Jean-Michel Damase

Opéra de Marseille
- 27 janvier 2007
découverte de Colombe de Jean-Michel Damase par l'Opéra de Marseille
© christian dresse

Colombe est l’histoire d’une jeune fleuriste, claire et jolie comme l’eau de source, qui épouse, dans toute la naïve exaltation de sa printanière sentimentalité, le fils désargenté et quasiment renié d’une actrice célèbre qui soudain la prendra sous sa protection, lui faisant découvrir le monde des coulisses et de la scène. Voilà la trame qui permit à Jean Anouilh (1950) de se livrer à une critique acerbe du monde du théâtre, avec ses rancœurs, ses jalousies, frustrations, intrigues, complots et médisances : toute une société radicalement corrompue et corruptrice qui n’offre pas de place à la pureté et la contraint à disparaître ou à composer. Ici, on sort de l’enfance, mais pour mourir, voire se décomposer sous l’influence polluante de la vie.

C’est tout naturellement que Colombe va tomber dans le piège malicieusement tendu, puis se métamorphoser, une fois son talent reconnu, en une arriviste faite, finalement, pour la vie facile, le luxe, les plaisirs et les hommages. Un goût de dragée au poivre vous prend la gorge dès le rideau tombé, même si la pathétique scène finale laisse le choix de l’issue du drame.

En vraie musique de théâtre, celle de Jean-Michel Damase (1961) virevolte comme les personnages, ironise, ponctue, exaspère les situations et porte en elle le charme des bouquets un peu fanés. Au lieu de chercher la profondeur d’écriture, de construction, cherchons plutôt à découvrir le sentiment que produit l’audition d’une telle satire.

Confiée à Robert Fortune, un habitué de l’Opéra de Marseille, ce petit chef-d’œuvre de cynisme et d’amertume trouve, dans les costumes de Christine Rabot-Pinson et les décors de Christophe Vallaux et du metteur en scène (d’après l’œuvre picturale de Jean-Denis Malclès, complice de toujours du dramaturge), une illustration parfaite de luxe, d’intelligence et de spiritualité. Ça « froufroute », conspire, pleure, rit dans la meilleure tradition d’un Au théâtre ce soir revisité par l’Odéon, le Français saupoudré du meilleur Opéra-Comique. Rien à jeter, dans cette nouvelle production.

Il fallait à cet « opéra de boulevard » hors norme une distribution sans faille.
Force est de reconnaître que Renée Auphan frappe une nouvelle fois dans le mille en choisissant de chanteurs jeunes, vocalement idéaux, excellents comédiens, dont le talent n’est plus à démontrer. Anne-Catherine Gillet renouvelle un exploit et trouve en Colombe un rôle à l’exacte mesure de sa voix ; élégance, grâce, sobriété du jeu sont ses autres atouts. Grandiose, superbe, surhumaine, Marie-Ange Todorovitch – « vieille prêtresse en ruine, mais encore debout, de l’art dramatique, fière de ses vanités, de ses fatigues et de ses gloires » – donne une dimension inattendue à Madame Alexandra et remplace avec brio Felicity Lott initialement prévue. Ses deux fils – Julien : Phillip Addis électrisant de sincérité ; Armand : Sébastien Droy ou la beauté du diable – rivalisent de prestance, de clarté dans l’articulation, projetant haut et loin leur sympathique et fraîche vaillance.

Autour de ce quatuor superlatif, le reste de la distribution ne pâlit pas. De Marc Barrard, irrésistible de drôlerie en Poète infatué de son médiocre talent, à Jacques Lemaire, autre belle révélation de la soirée (voilà un ténor léger digne des plus grands), La Surette impressionnant d’abjection haineuse. Nicole Fournié (Madame Georges), Éric Huchet (De Bartas aux allures de Guitry) et Patrick Villet (Desfournettes croqué chez Daumier) sont, eux aussi, de haute tenue. Acteurs ? Chanteurs ? Qu’importe ! Au pupitre, Jacques Lacote et son drive prodigieux transfigurent littéralement la phalange phocéenne en grande forme, tour à tour éloquente, chaleureuse, irisant de milles couleurs crépusculaires un fort beau spectacle.

CC