Chroniques

par laurent bergnach

comme un fil, de Debussy à Boulez

Nuits d’été d’Aix-en-Provence / Cloître des Oblats
- 7 juillet 2006

Ce soir, dans la cour du Cloître des Oblats, les places vides sont rares pour un concert de musique de chambre française du XXe siècle qui justifie assez que la nouvelle présidente de l’association Nuits d’été à Aix-en-Provence félicite la précédente pour son engagement en général et ce programme atypique en particulier. De même, apprécie-t-on que Raoul Lay, directeur musical de l’ensemble Télémaque, dédie à György Ligeti, récemment disparu, ce voyage chez les musiciens du timbre.

Pour débuter, un rien hiératiques, Syrinx (1913) de Claude Debussy et Density 21,5 (1936) d’Edgar Varèse, deux soli de Charlotte Campana à la flûte, encadrent la Sonateen ré mineur n°1, écrite par le natif de Saint-Germain-en-Laye en juillet-août 1915. Nathalie Negro, d’une belle gravité pianistique, et Guillaume Rabier, à la mélancolie nuancée, explorent après le Prologue des climats plus variés, allant jusqu’aux cordes tsiganes du Finale. L’œuvre réjouit par ses audaces, rappelant l’étonnante modernité du compositeur au tout début du siècle.

Déjà apprécié en duo, le violoncelliste emporte un peu plus l’adhésion du public avec Trois strophes sur le nom de Sacher (1976), partition qu’Henri Dutilleux construisit à partir d’un motif de six notes et qui explore les possibilités de timbre, de couleur et d’expression. D’un archer léger et délicat, l’instrumentiste convoque un certain mystère qui aimante l’attention – malgré cris d’oiseau et autres gargouillis de canalisation qui parsemèrent la soirée.

Médaille d’or de chant et d’art lyrique en 1987, Brigitte Peyré sillonne l’Hexagone et l’étranger, restant fidèle à Télémaque [voir notre critique du CD Boucourechliev et notre chronique du 7 novembre 2004]. Pourvue d’un chant et d’une diction clairs, elle aborde Trois poèmes de Stéphane Mallarmé (1913) de l’auteur de La mer, puis Trois chansons madécasses (1926) de Maurice Ravel. Aux premiers qui sont autant à dire qu’à chanter – mettant parfois l’accent sur des notes peu soutenues –, on préfèrera la seconde intervention de la chanteuse, pourvue d'un legato satisfaisant et d'une chair nettement plus riche, accompagnée par un petit effectif (flûte, violoncelle et piano).

Les soixante-dix ans du chef d’orchestre et mécène Paul Sacher ont donné naissance à la pièce de Dutilleux, déjà évoquée, ainsi qu’aux Messagesquisses de Pierre Boulez (1976). Ce matériau harmonique est repris en 1984 par Dérive, devenu depuis Dérive 1. Goût de la couleur, mobilité fluide, texture foisonnante imbriquant trilles et arabesques sont les caractéristiques d’une œuvre pour six exécutants, rendue avec rondeur et précision sous la battue de Lay. À l’heure où l’on croise en ville le créateur de Répons, présent pour la reprise du triptyque Retablo-Renard-Pierrot et deux concerts à la Cité du Livre, reprendre sa pièce en bis constitue un bien bel hommage.

LB